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"It's a wonderful life" ou ma vaginoplastie (5)

 Nous sommes le vendredi 1er novembre. C'est la Toussaint et j'ai besoin de me rassurer.

Je regarde mon calendrier. J'ai l'habitude de biffer chaque jour passé et là tout est vierge jusqu'au bout. Quand je changerai de calendrier ma situation se sera améliorée. Il est prêt, le 2025. Je sais que ce sera une bonne année.

Mais il faut déjà y arriver.

Je bascule sur mon agenda en ligne. J'ai des déclarations à effectuer rapidement, je les planifie. La question financière me préoccupe. Je vais devoir piocher dans mes réserves et me retrouver au RSA. Je me dis que plein de gens réussissent à vivre avec ça, alors ça devrait aller.

Je programme des alertes quatre fois par jour pour mes dilatations: 8h30, 13h, 17h, 21h30. Je ne suis pas sûre pour la première et la dernière. L'infirmière m'a précisé qu'il ne faut pas qu'il y ait plus de 10h entre les deux. Sauf que je suis épuisée. J'ai besoin de dormir un minimum. La question du sommeil et de la fatigue est devenue centrale. Je dois récupérer de mon hospitalisation, la douleur m'empêche toujours de dormir et je dois faire gaffe avec le Tramadol et l'Acupan qui peuvent provoquer des addictions, entre autres joyeusetés.

Chaque fois, je me demande si je fais les choses bien. C'est l'inconvénient d'être sortie de l'hôpital: je dois me débrouiller. Les infirmiers répondent néanmoins à mes mails très rapidement, la semaine, quand je leur pose des questions. Comme par exemple la lettre/bilan approximative qu'ils m'ont confiée à ma sortie. Avec ma date d'intervention à la place de ma date de naissance et l'indication que je dois me faire injecter le traitement préventif contre la phlébite pendant 10 jours. Alors que je dois désormais me contenter des bas de contention, en réalité. Ce sont les infirmiers de l'hôpital qui ont dissipé ces doutes.

Ma pote est toujours malade et ça continue à m'inquiéter. Ma sœur est surbookée. Je crois aussi que tout ce qui est chirurgical la met mal à l'aise. Comme de ce qui peut relever de ma sexualité. Ce qui expliquerait sa distance.

Deux mois avant de voir mes contraintes allégées. Un peu. Pas assez, mais un peu. J'ai encore de l'énergie donc je m'imagine bosser sur mes projets littéraires sur cette période. Je pense que dans une quinzaine de jours, niveau fatigue, ça ira déjà mieux. Je me serai adaptée. Idem pour les douleurs. Je me fixe des étapes, comme ça. Je décide de ne pas me préoccuper pour le moment de 2025 et de découper les deux mois qui s'étendent devant moi, afin de les rendre plus supportables.

Les jours passent et je me félicite de voir mes bouteilles d'eau diminuer. Je fais des calculs: deux litres par jour pendant deux mois, ça fait 60 bouteilles donc 10 packs de 6. Ça me rappelle mes cours de français, au lycée. Dans le fond de la salle de classe, je trouvais le temps long, alors je le dessinais, le temps, avec des carrés qui représentaient une ou quatre minutes au gré de mes expérimentations. Au boulot, j'ai plus ou moins repris ce même système. Quand je m'ennuie, je fais des traits sur mon petit cahier. Ça focalise mon attention.

La clé se trouve justement là: focaliser mon attention. Ma vie est devenue militaire, spartiate, avec des contraintes ultra-régulières et le minimum en terme de compensations, de plaisir. Je connais mon cerveau, c'est l'avantage. Il veut toujours bosser, écrire, écrire, écrire, mais je ne suis pas trop en état à cause de la fatigue, et aussi des médocs. Alors quand je ne suis pas trop épuisée... j'alimente ce blog. C'est pas bien grave, s'il y a des coquilles voire des fautes, si ça manque de rigueur, si j'oublie des détails. Je pourrai toujours y revenir et puis mon lecteur sait dans quelle situation je suis. Avec une grande précision.

L'avantage est triple: je garde un pied dans l'écriture et j'aiguise mon style, je focalise mon attention sur autre chose que ce présent pénible, même s'il s'agit d'un passé non moins pénible, et... je me réapproprie ce passé, cette hospitalisation, cette opération et ses suites. Je prends du recul. Ainsi, je ne suis absolument pas dans le déni. Parfaitement connectée à tout ça. J'aime les paradoxes. Et aussi je joins l'utile à l'agréable parce que le récit de cette expérience peut servir à d'autres personnes. 

Enfin, à mon avis, j'ai dû terrifier pas mal de monde, là. Mais pour ceux qui restent, je vous suggère quand même d'attendre la fin de l'histoire, dans quelques mois. Ou années. Pour savoir si le jeu en vaut vraiment la chandelle.

Je relis le papier qu'on m'avait donné en amont de l'opération, qui résumait les points importants. Il est indiqué que j'aurai sans doute besoin d'aide pour le ménage, entre autres. Petits joueurs. Même si je me retrouve en PLS à la fin, je réussis à le faire moi-même.

Les jours passent. La douleur s'atténue de façon très lente. Chaque bouteille d'eau de 2 litres que je jette est accompagnée d'un "yes". Je le vis comme une petite victoire. Bientôt un pack en moins dans ma chambre. Plus que 9. Je me raccroche à des petits espoirs. "Normalement, d'ici une semaine, ça ira mieux, niveau douleurs. De toute façon, j'ai des antalgiques pour 10 jours, c'est que forcément...". 

Le 6 novembre, je reprends le taxi pour retourner à l'hôpital. Petit contrôle. Les deux infirmiers me matent la fibrine et ont l'air globalement satisfaits. Ils m'expliquent que je vais devoir mettre de la vaseline sur mes cicatrices pour éviter qu'elles soient sèches. Et allez... Une contrainte de plus. Et je ne parle même pas de mes culottes que je vais devoir jeter d'ici quelques mois. Les exsudations, ça se lave, mais la vaseline, j'en doute plus que sérieusement.

Il faut aussi que je marche. "Souvent, le retour à l'hôpital, c'est la première sortie." Ben tu m'étonnes! Faire mon ménage, c'est déjà hard, alors me balader... Surtout avec ce temps. Mais bon ok, je dois marcher, alors je marcherai. On reprend rendez-vous une semaine plus tard, ils me donnent mon double bon de transport et c'est le retour. Toujours avec mon coussin troué, devenu mon fidèle compagnon.

Je vis dans le crade en permanence. Je me lève, j'ai une sensation d'humidité qui n'est pas qu'une sensation. Je dois changer de protection périodique quatre fois par jour. Au moins. Elles ne sont manifestement pas adaptées à la situation. Il vaudrait mieux des couches. De toute façon, niveau dignité, c'est foutu. Mais ça coûte plus cher, des couches. Alors, je passe mon temps à essayer de trouver la position idéale pour la serviette tout en sachant qu'il n'y en a pas. Trop à droite, ça va couler à gauche. Trop vers l'arrière, ça va couler à l'avant... C'est le but, là, que ça coule. Il faut que le mauvais se barre. D'où les irrigations. D'où les bouteilles d'eau.

Le 8 novembre, je revois la psychologue, en visio. Pas besoin de taxi pour sonder mon esprit. Je lui exprime mes difficultés, mon sentiment de solitude, mes craintes, mais globalement ça va, même si ça m'étonne un peu. J'envisage une sorte de "retour du refoulé". Un moment où tout le négatif accumulé depuis ces deux dernières semaines va me retomber sur la gueule d'un coup. C'est possible.

Parce que oui, je me trouve trop sereine au vu de la situation et de ma personnalité. J'ai été confrontée à mes pires phobies, j'ai vécu un traumatisme physique d'une intensité exceptionnelle, un chamboulement identitaire, psychologique et... ça peut aller? Ok.

Je songe à l'époque très lointaine, en 1999, où j'ai voulu intégrer l'armée. Parce que j'avais besoin d'affirmer ma virilité, pour des raisons aujourd'hui particulièrement évidentes. J'avais passé le concours pour devenir sous-officier. Au final, on m'a dit que j'avais le cerveau et les nerfs pour devenir officier. Par contre, niveau physique... il fallait m'entraîner de façon plus que sérieuse pour espérer pouvoir y entrer ne serait-ce que comme bidasse.

Voilà, je suis une guerrière. Tout simplement.

Je conclus en lui disant que j'aimerais qu'on se refasse une visio la semaine prochaine. Parce que j'ai besoin de jalonner ma convalescence.

Arrive le week-end et je vois ma sœur à peu près tous les jours. Ça me fait beaucoup de bien, même si ça me fatigue aussi un peu. Une amie m'appelle et me propose de passer pour se faire une bouffe dans pas longtemps, quand je serai un peu plus d'attaque. J'accepte avec plaisir.

La routine des dilatations s'installe. Le premier jour, je me suis dit que je regarderais des vidéos d'histoire sur Youtube avec Nota Bene en même temps. Ma motivation s'est évanouie en moins d'une journée. Je continue à regarder Lost et je complète avec un dessin animé type Dragon ball ou... Ranma 1/2. Quoi de plus approprié que cet anime qui a sans doute joué un rôle dans la prise de conscience de ma transidentité?

Les premiers jours, je souffle, je râle, je peste à chaque dilatation. "Allez deux sur quatre... On va y arriver. Step by step.". Et puis, j'en viens presque à apprécier ces moments, parfois. Parce que ça me permet de savoir comment l'histoire va évoluer dans Lost et sans doute aussi parce que j'intègre que ça fait partie de ma vie.

C'est surtout la fatigue, le problème. Un jour sur trois, je suis épuisée. Les deux autres jours, je suis complètement épuisée. Dans ce cas, au lieu de vous narrer mon épopée, je me mets en PLS dans mon lit et j'essaie de dormir. Ça a aussi l'avantage de faire passer le temps.

J'ai l'impression que mes nuits sont perturbées par les médicaments et le sevrage. Il m'arrive d'être agitée malgré l'épuisement. Ou alors c'est mon inconscient qui me hante. J'ai un délire qui revient encore parfois. Quand je suis dans un état de semi-conscience, je me souviens que j'ai oublié quelque chose d'absolument essentiel dans mes soins. C'est une évidence, je le sais. Et c'est très grave. Sauf que dès que je sors de cet état pour reprendre conscience... je ne vois plus du tout ce que j'ai pu oublier. Ce délire m'a déjà forcée à me lever en pleine nuit pour vérifier sur mon petit livret d'accompagnement ce que j'ai pu oublier. C'est à dire absolument rien. Mais l'impression est absolument parfaite. Au point que j'en doute encore.

Il ne faudrait pas que ça se reproduise trop souvent parce que c'est un coup à finir tarée, surtout dans mon état de fébrilité.

Quand je n'ai pas de ménage à faire et que je ne suis pas trop épuisée, il m'arrive de sortir, comme on me l'a recommandé. J'ai fait l'effort d'aller à la pharmacie acheter de la vaseline devant un client qui m'a regardée avec un drôle d'air, l'enc**é. Je prends aussi du pain quand je veux me faire un sandwich, je fais des petites courses... J'ai même réussi à conduire ma bagnole sur une petite distance pour régler le Secours populaire qui va m'aider à réduire les dégâts financièrement sur cette période compliquée.

Et nous voilà le 13 novembre. Le présent de chez présent. J'ai toujours mal. Je dirais que la douleur tourne autour de 3 quand je ne prends pas de paracétamol (j'ai préféré arrêter les deux autres), et à 2 quand j'en prends. C'est toujours aussi pénible de rester debout, même si je ne marche pas. Niveau fatigue, il n'y a pas de réelle amélioration.

Demain, je retourne à l'hôpital pour un deuxième contrôle, avec quelques questions à poser en prime. Vendredi, deuxième visio avec la psy.

J'ai utilisé 2 packs d'eau et demi sur 10.

Je continuerai ce récit quand les choses auront un peu évolué.

"There's magic everywhere"

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