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Une semaine avant le début du dernier chapitre

 La pression monte sérieusement. J'ai des flashs d'angoisse, de temps en temps.

Dans une semaine, je serai à l'hôpital à Lille. Sur un lit trop petit, dans une chambre encombrée. Mes affaires seront pour l'essentiel dans mon sac de badminton, lui-même rangé dans un placard. Des infirmiers, des aides-soignants viendront me voir, me donner des consignes, des médicaments... Je serai en train de focaliser mon attention sur mon téléphone, mes réseaux sociaux.

Parce que le lendemain matin, il faudra que je me rende, à pied, au bloc, que je m'installe sur la table d'opération. On va me mettre une perf sur le dos de la main, diffuser de la musique que j'aurai choisie, probablement du Katie Melua, ou du Björk. Ce serait cool de sombrer dans le néant sur du Björk.

Et puis, je vais perdre connaissance. Anesthésiée.

Le réveil sera pénible, comme il l'est toujours. Je serai dans une salle de réveil, avec d'autres personnes dans le même coltard que moi. Pas de fenêtre. Pas d'horloge. Pas de repères. Mes pensées vont partir dans tous les sens. Des gens dont j'oublierai le visage en quelques minutes vont me parler, me demander comment je me sens, si j'ai mal, me rassurer.

C'est un moment que je redoute particulièrement. Dans cette demi-conscience, comment vais-je réagir à ma diminution? Est-ce que je ne vais pas paniquer? Depuis ma puberté, je rêve, souvent, de m'éclater les parties entre deux briques. Mais là, c'est réel. On n'est plus dans l'imaginaire, dans le fictif, dans le conditionnel.

Ce truc que je refuse de nommer, ce machin qui m'a causé plus de peine que de plaisir, de honte que de fierté, de dysphorie que d'euphorie, il aura vraiment disparu. Ou plutôt, il aura changé de forme. C'est ça que je dois me dire, parce que c'est la réalité: il ne va pas disparaître, il va trouver sa juste place. A l'intérieur de moi.

Une fois que j'aurai intégré ça, il faudra que je me sorte de l'anesthésie, de façon progressive. On va me ramener dans ma chambre, avec mes affaires, mon téléphone. Ce sera alors à moi de rassurer mes proches, d'envoyer des textos, pour dire que ça va, que tout s'est bien passé, que je dois à la fois me reposer et refaire fonctionner mon organisme. J'aurai sans doute perdu beaucoup de sang. Le chirurgien va venir me voir, avec d'autres, pour me dire que comment ça s'est passé, comment ça va se passer. Je l'écouterai à moitié mais je hocherai la tête à chacune de ses paroles. De toute façon, à partir de là, je devrai me laisser guider, sans trop réfléchir. Je serai devenue totalement dépendante.

Bien sûr, je pars du principe que tout se passera bien, mais une forme de superstition m'oblige aussi à envisager que ça peut mal se passer. Que je peux même mourir dans l'opération. Mais là, il n'y a rien à raconter. Ce seront aux autres de poursuivre l'histoire. Sans moi. En évitant que cet accident ne serve un discours transphobe.

Alors, on va rester sur la ligne temporelle la plus probable: mon chirurgien réalise ce genre d'opérations au moins depuis 2018 avec d'excellents résultats, donc ça doit bien se passer.

Le 25 octobre, je n'aurai sans doute pas dormi de la nuit, ou très peu, très mal. Je serai épuisée. Physiquement. Moralement. Je vais pester devant la bouffe qu'on va me servir. A cause de la fatigue, j'aurai la gerbe.

D'après l'anesthésiste, d'une grande gentillesse, c'est le deuxième ou le troisième jour qu'on observe des craquages. "Si ça arrive, laissez passer la vague, ça ne dure pas. Au pire, on vous donnera un anxiolytique". La psychologue m'a aussi averti que ça peut arriver. Avec ma dépression, j'ai une certaine expérience. J'ai déjà subi des vagues d'une intensité extraordinaire, avec des pulsions suicidaires. Je les ai surmontées en me disant que ce n'était pas réel, que ce n'était qu'une illusion temporaire, un mal-être artificiel.

Ca me rappellera cette merveilleuse époque.

J'ai donc les ressources pour traverser cette phase. Je sais aussi que la fatigue va continuer à s'accumuler, parce qu'on ne dort pas vraiment, dans un hôpital et que je commencerai vraiment à aller mieux une fois que je serai chez moi. Dans mon lit. A mater Netflix, un dilatateur à porter de main, voire en moi.

Je dois rester environ une semaine. L'infirmière m'a dit que je pourrai rentrer dès que je serai en capacité de me débrouiller pour mes dilatations. Ces foutues dilatations qui vont me bouffer mon automne, mon hiver et mon printemps. Ces foutues dilatations que je ne peux m'imaginer que comme une contrainte, jamais comme un plaisir. Pourtant, il paraît que ça l'est souvent, une fois la douleur passée. Je suppose que ça va au moins devenir une routine, que je vais m'habituer.

Vers le 1er novembre, donc, je pourrai rentrer chez moi. Et va démarrer le long processus de cicatrisation. Avec les soins, le nettoyage, les douleurs, les contraintes. Je vais passer du temps devant ma télé. J'espère aussi pouvoir écrire, au bout d'une quinzaine de jours, à tout le moins.

J'imagine que le moral va revenir de façon progressive. Je serai débarrassée de cette bosse, de ce "bulge". Mon identité aura changé. Je me verrai autrement. J'espère que mon syndrome de l'imposteure aura disparu.

C'est le but en tout cas.

Ma vie sera entre parenthèses pendant deux mois. Plus de théâtre, plus de badminton, plus de balade, plus de boulot. J'aurai besoin d'être soutenue, cependant. Je sais déjà que je vais ressentir un paquet d'émotions, intenses. Des montagnes russes. Ce seront les miennes, elles seront vraies. Je ne dois pas en avoir peur. Au contraire. J'ai passé tant d'années à ne plus rien ressentir.

Ensuite, à partir de janvier, j'espère avant, je pourrai reprendre ma vie, petit à petit. Des petits trucs sympas vont m'arriver, par la suite. En février. En mai ou en septembre. 

A la fin de l'été, si tout va bien, le livre de ma transition sera terminé. Médicale, administrative, sociale. Je serai une personne nouvelle. Une femme à part entière. Il restera simplement un long passé que certains viendront me rappeler de façon plus ou moins volontaire. Mais ce sera marginal.


Il y a tellement d'enjeux, tellement d'attentes, tellement de tensions qui sont liés à ce truc et donc à ce 24 octobre que je m'en fais une montagne. Que j'ai la trouille. Je n'ai plus vraiment de doutes, même si on n'est jamais sûr à 100%. D'ici là, il faut que j'accepte cette trouille, que je m'y confronte. 

Que je laisse la vague passer. C'est totalement naturel, et même sain.

Commentaires

  1. "le premier jour du reste de ta vie"!!!
    En te souhaitant beaucoup de bonheur. Vince

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