Voilà. C'est le petit grand jour.
"Look at me standing/Here on my own again"
Je vais bientôt pouvoir manger autre chose que ces foutues biscottes. Je commence à avoir mal au ventre en plus des hémorroïdes et de la schneck. Mais je dévore toujours ce qu'on me donne. On m'a retiré mes bottes musicales, remplacées par des bas de contention depuis ce week-end, déjà.
L'infirmière arrive dans la matinée. C'est bien, je n'aurai pas trop le temps de stresser. Elle est accompagnée d'un stagiaire, je crois. Je ne sais jamais qui fait quoi dans cet hôpital. Il y a juste les médecins et les internes qui ont une aura différente. Elle m'explique tout en découpant du fil qu'il s'agit donc d'un conformateur moderne. Il suffit de lui insérer une seringue et hop! ça part quasi tout seul.
Et elle s'y met. Une tentative. Deux. Trois. Quatre. Cinq... "Ben qu'est-ce qu'il se passe?" Pas moyen d'aspirer la flotte. Elle se désole, s'excuse. Bien sûr, il y a une autre solution: un petit coup de bistouri sur le conformateur. Mais elle ne peut pas faire ça sans être sous la supervision d'un médecin, ou au moins d'un interne. Alors, les deux partent en quête du soignant idoine en m'enjoignant de ne pas bouger.
Je reste donc la vulve à l'air, jambes écartées, dans ma chambre numéro 9. Et j'attends. Je me dis qu'il doit y en avoir pour 5 minutes. Ça doit se trouver assez facilement, un médecin, dans un hôpital. Le temps passe. Une aide-soignante passe la tête, s'étonne de me voir dans cette position. Je lui explique la situation. Elle voulait faire mon lit et nettoyer ma chambre. Elle repassera.
Je n'ose rien faire, mais je finis quand même par tirer la couverture sur mon ventre. J'attends toujours, avec un petit stress, bien sûr. Voire un gros.
Je pense que ce n'est qu'après une heure et demi que mon infirmière revient, avec l'interne qui m'avait foutue des angoisses la veille de mon arrivée à l'hôpital. Je la trouve néanmoins super mignonne. Je trouve tout le monde beau, dans cet hôpital. La drogue, peut-être.
Mon infirmière s'y remet, histoire de montrer le souci à l'interne. "Voilà, ça marche pas. Je comprends pas. Du coup, il faudrait inciser". L'interne lui demande si elle a ôté le bouchon bleu. Le bouchon bleu? Elle s'exécute. Et ça marche. Elle ne sait plus où se mettre, s'excuse, explique qu'elle est épuisée, trop sollicitée et je la crois sans problème. Je sais qu'elle va prendre sa retraite dans quelques semaines.
Le conformateur part tout seul, en effet. Pas de douleur, pas vraiment. Plutôt du soulagement quand il est parti. Pour la sonde de ses morts, c'est pas la même chose. Ça ne dure pas longtemps, mais c'est hyper désagréable. Elle m'avertit que je vais sans doute avoir mal chaque fois que j'irai aux toilettes, dans un premier temps, mais à force, ça va s'estomper. Elle m'indique aussi qu'avec les œdèmes, je vais VRAIMENT pas pisser droit. Là aussi, c'est normal, ça va s'estomper, mais ça va prendre beaucoup plus de temps. Il faut que ça dégonfle.
Là dessus, elle se sauve pour répondre à ses trop nombreuses sollicitations. Je comprends que c'est pas sa journée. Elle reviendra un peu plus tard pour m'assister pour les premières dilatations, mais là je peux profiter un peu de l'absence de cette foutue sonde et du conformateur.
La libération s'avère assez limitée parce que la douleur reste assez intense. J'ai connu pire, mais c'est pas encore l'éclate.
Pour les pipis, je confirme. Je ne peux m'empêcher de gémir quand ça sort et de souffler très fort à la fin. Quant au jet... Là aussi, je confirme. On a l'impression d'être sur un WC japonais, avec la petite douchette qui vient vous titiller l'assise. Il faut donc user pas mal de papier toilette pour éponger tout ça.
La sortie se précise donc. Demain. Je sens le personnel déjà moins préoccupé par ma petite personne.
Comme convenu, l'infirmière revient pour mettre un nouveau coup de scalpel à ma pudeur. Cette fois, elle va me montrer comment réaliser mes dilatations et mes irrigations. Elle ne le dit pas, mais en sous-texte, je comprends qu'il faut faire schnell, comme on dit outre-Rhin. Elle a des prises de sang à réaliser et le sang devrait déjà se trouver dans les tubes depuis un moment.
J'ai failli oublier. Comme quoi l'événement ne m'a curieusement pas marquée. J'ai vu ma vulve. Je m'attendais à tout et son contraire: panique, euphorie, dégoût, rejet, soulagement... Je n'ai rien ressenti de semblable. Un peu comme pour ma pomme d'Adam, donc. Sur mon petit miroir, je vois une vulve grossière, couturée, sanguinolente, parée des couleurs de l'automne avec du rouge, du jaune, du noir, du bleu... Ce qui me perturbe le plus, c'est mon scrotum qui est toujours là. Je le reconnais bien. Il ne pend plus, mais il forme deux petites bosses, qui devraient dégonfler. Il s'agit de la partie la plus propre en terme de chirurgie, et pourtant c'est celle qui me dérange parce qu'elle me renvoie au passé. C'est normalement moche. Et je ne ressens pas plus d'émotion devant ce spectacle que n'en ressentirait une femme cisgenre. Du moins, j'imagine.
L'infirmière prend une respiration et on attaque la dilatation. Première bougie. Non, pour une raison que j'ignore, je n'aime pas ce terme. Je préfère appeler ça un dilatateur. C'est ça qui me sert à faire mes dilatations, donc ça me semble plus logique. Et j'ai besoin de logique, là. Premier dilatateur, donc. De taille modeste. Je l'enduis avec un produit anesthésiant et lubrifiant, celui qu'on met habituellement sur les sondes urinaires. J'y vais généreusement. Et je l'introduis dans la cavité que je peux désormais appeler vagin.
La madame m'explique que je dois l'enfoncer jusqu'à la garde, mais avec un mouvement rotatif. Ensuite, je dois le garder où il est pendant 10 minutes. Ce n'est pas spécialement douloureux, ni désagréable, mais je trouve ça assez cracra. Même procédé avec le deuxième, d'une taille déjà plus conséquente qui a donc plus de mal à se faire une place.
Et enfin le dernier, que nous surnommerons Rocco (bien qu'en réalité Rocco le domine encore de quelques centimètres). Lui, il ne faut pas l'insérer totalement. De toute façon, c'est pas possible: il me remonterait dans la gorge. L'infirmière m'indique que c'est cependant lui le plus important de tous. Les deux autres n'ont vocation qu'à préparer son entrée en scène. Il doit dépasser de deux doigts. Et je m'interroge déjà: deux doigts genre les miens ou genre deux gros doigts? Du coup, quand elle me dit que c'est bon, j'essaie de retenir l'image: je vois juste sa base planquée derrière mes lèvres. Et puis je mets deux doigts dessus, pour voir, avec un air sceptique. Et lui, il doit rester bien au fond pendant 30 minutes.
Ensuite, il y a les irrigations, mais elle doit se sauver, la madame. A la place de Rocco, je dois me mettre une... sonde urinaire. On n'en sort jamais... Et puis, avec une seringue préalablement remplie d'eau minérale, je nettoie mon intérieur au travers de la sonde, assise sur une sorte de bassine. Un demi litre à chaque fois, soit 2 litres par jour. Tous les jours.
Bien sûr, c'est de l'eau écarlate qui ressort de là.
Et voilà. C'est la première d'une interminable série. Quatre fois par jour pendant deux mois. 1h30 chaque. Le petit truc que j'ai découvert à cette occasion, c'est qu'il doit y avoir moins de 10h entre la dilatation du soir et celle du matin. Pas de grasse mat', malgré l'épuisement. Si tout va bien, mais c'est au chirurgien de le valider ou pas, on passe à trois par jour. Puis, on passe à deux et là ça devient un peu plus vivable bien que toujours pénible.
D'après le programme indicatif, je devrais être vraiment tranquille à partir d'août ou septembre, avec une dilatation par semaine. Mais ce n'est qu'indicatif, on me l'a martelé: chaque personne est différente.
Après tout va assez vite. Le soir, je m'attends à enfin me faire servir un repas avec résidus... et non. Toujours pas. L'aide-soignante m'explique que le repas a été commandé en avance et dans le doute... La déception est intense.
La nuit s'avère toujours assez compliquée, malgré un soulagement certain. Les douleurs persistent avec une intensité non négligeable.
J'ai enfin droit à un petit déjeuner décent, avec des tartines et du chocolat chaud. Mais je suis quand même déçue, je m'attendais à mieux. J'en aurai presque oublié que je suis à l'hôpital. On m'indique que je vais partir en fin de matinée et en effet, je remarque que quasiment plus personne ne se préoccupe de moi. Je vais aussi bien que possible au vu de la situation. Tout le monde passe au patient suivant.
L'infirmière doit néanmoins passer avant mon départ pour répondre à mes quelques questions. On est sur du pratique de l'extrême: nettoyage des dilatateurs, prise en charge du transport... Pour moi, c'est important. Le problème c'est que l'infirmière est toujours surchargée de boulot, donc j'attends... Et elle ne vient pas. A sa place, c'est l'interne qui vient courageusement me répondre. Je ne la sens pas super à l'aise, mais elle joue son rôle.
Plus qu'à ranger mes affaires, rendre les BD et attendre le taxi. Je suis épuisée et en même temps tendue, c'est ce qui me tient debout. Avec mon téléphone qui me permet de focaliser mon attention et donc de ne pas trop penser.
Le chauffeur arrive dans ma chambre avec mon enveloppe qui contient une prescription, le bilan de mon séjour et le bon de transport. Il me prend mon sac de badminton toujours aussi rempli et mon coussin troué. Je le suis dans les couloirs où personne ne me prête attention. Il va vite et comme une conne j'essaie de suivre au lieu de râler.
Je monte dans sa Mercedes. Je me dis que c'est quand même la grande classe. Le mec s'est montré très courtois, très prévenant et en bonus il a le bon goût de ne quasiment pas me parler pendant le transport. Là, ce dont j'ai besoin, c'est de me vider la tête de toutes ces images, de ces bruits, ces bips... Je veux m'enivrer du paysage, profiter de cette relative liberté. J'ai mal à la vulve malgré le coussin. Chaque cahot me tire les traits. Le chauffeur m'indique que si j'ai un rendez-vous médical la semaine prochaine, par exemple, sa société peut aussi me prendre en charge. Je découvre que quand on est en ALD et qu'on ne peut pas se déplacer par ses propres moyens, on a droit à un taxi... Cool.
J'arrive enfin chez moi. Avec la tension, j'ai toujours le sentiment d'avoir de l'énergie. Au point de croire que je pourrai aller à mon rendez-vous de la semaine prochaine en transports en commun: tram ou voiture, train, métro et un peu de marche. Ce que je peux être naïve, parfois.
Je range mes affaires en soufflant, je lance une lessive, j'envoie ma liste de courses à ma sœur, je mange et on attaque la première dilatation à domicile. Je me dis que je vais profiter de ce moment et me cultiver donc je lance des vidéos d'histoire avec le youtuber Nota Bene.
J'éprouve néanmoins une pointe d'angoisse. Nous sommes le 31 octobre. Il va falloir que je tienne à ce rythme de 4 par jour pendant deux mois. Je ne suis pas sûre de tenir. Ça fait énormément de contraintes pour très peu de plaisir. Il m'arrive de me projeter dans une sexualité, hétéro, lesbienne, solo... je le regrette aussi sec. Mon clitoris m'envoie une décharge dès que mon fantasme commence à devenir intéressant. Soupir...
Quant à la bouffe, je passe du sans résidus au riche en fibres. Il faut éviter la constipation donc il faut du fruit, du légume et de l'eau type Hépar ou Saint-Antonin. Je ne suis pas sûre que l'américain steak sauce mayo soit parfaitement approprié. Pourtant, à proximité de chez moi, j'ai failli demander au chauffeur de passer au Mac Drive.
L'automne ne me rassure pas plus. C'est la saison des maladies et je ne me vois pas subir la même chose que ma pote, par exemple. Je m'imagine avec une grosse poussée de fièvre. Comment je ferais pour mes dilatations si j'ai les mains qui tremblent, si je suis au plus mal? Idem, il ne faudrait pas que je me chope une crise d'allergie. Éternuer me fait grimacer de douleur. Idem pour la toux.
Ma vie est déjà assez compliquée comme ça. Pas la peine d'en rajouter.
Mais je me dis que d'ici une quinzaine de jours, déjà, mes douleurs devraient avoir à peu près disparu.
"Here I go out to sea again/The sunshine fills my hair/And dreams hang in the air"
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