Attention je vais évoquer plein de trucs dégueulasses qui peuvent déclencher des phobies. Mais j'essaie de le faire avec humour.
Me voilà sur le bloc. On m'invite à me détendre, bien respirer. On me met un masque à oxygène, en plus de la perfusion. J'avais bien précisé que la perfusion, chez moi, c'est phobique. Pas le choix. J'entre dans ma bulle dissociative. Mon esprit quitte la réalité. C'est déjà trop violent et la prochaine étape sera bien pire. Je le sais.
Je me dis que si je veux faire marche arrière, c'est maintenant ou jamais. Dans moins de cinq minutes, ils vont commencer à me charcuter, et ce sera irréversible, et je ne pourrai pas le cacher, vu que c'est le visage. Je suis pas si moche que ça finalement. Est-ce que vraiment ça vaut le coup? Je respire avec le ventre, je m'imagine à la plage, le bruit des vagues...
Trop tard. Noir complet.
Je me réveille avec une gueule de bois légendaire. Normal.
Une gentille infirmière vient vers moi, prend des nouvelles. Je ne parviens pas à dire quelque chose d'intelligent, de subtil, de plus de quatre mots. Ça semble lui suffire. De toute façon, je n'imprime rien. Je suis comme dans un très mauvais rêve. Le type qui faisait le malin juste avant qu'on entre au bloc, tout à l'heure, la ramène beaucoup moins. Timide ou grande gueule, rugbyman ou fillette, dans cette pièce, on devient le même tas de chair inerte.
Je respire (c'est le maître mot), et je fais la seule chose que mes sens me permettent à ce stade: je regarde. Problème: le programme s'avère nul. Une sorte de mélange entre Urgences et Derrick. Je m'invente un suspense façon Tour de France. Je me dis qu'avec un peu de chance, le petit vieux devant moi va pas se réveiller. Ça pourrait m'aider à m'énerver un peu.
Mais non, tout se passe bien et au bout d'un moment, on me ramène dans ma chambre.
Là, on m'explique les règles du jeu. Il faut que je sorte totalement de l'anesthésie, que je boive, que je mange, que je pisse. Sinon, ça va pas le faire et il faudra prendre des mesures désagréables. La dernière fois que j'avais joué à ce jeu, j'avais failli perdre, donc je suis pas hyper optimiste.
Mais pour le moment, ma seule obsession, c'est de récupérer mon téléphone pour pouvoir me filmer en train d'imiter l'un des personnages du film Banzaï, celui qui se retrouve en permanence à l'hôpital recouvert de bandages avec comme seule réplique de tout le film: "Michel", l'envoyer au pote avec qui j'avais déliré là-dessus à l'époque où on fumait des joints, ados et claquer ça sur Twitter, et éventuellement Facebook. Un aide-soignant me propose justement de me le donner, mon smartphone. Qu'il soit béni sur les quatre prochaines générations.
Ne me jugez pas, ça faisait plus de vingt ans que j'attendais que cette occasion se présente.
Et quelque part, j'aurais adoré que ce soit ma dernière publication avant ma mort. Partir sur une connerie pareille, j'achète.
Une fois ce fantasme réalisé, j'ai énormément picolé, et vomi tout autant. Gerber de la flotte, c'est pas très agréable, mais ça va encore. Alors, j'ai tenté d'ajouter du yaourt, pour rendre ça un peu plus fun, et pour bien faire comprendre à mon estomac qui c'est la cheffe. L'opération avait duré quatre heures, il était un peu plus de 13h, il a fallu attendre vers 19h pour qu'il accepte mon autorité, non sans ronchonner sévère.
Les soignants ne semblaient pas ravis de ces quelques difficultés, mais il voyait bien que j'y mettais du mien.
Dans le même temps, il y avait le pipi. Et là... J'étais toujours sous perfusion et donc câblée à un joli meuble en aluminium sur lequel pendaient mes deux poches. Mais en plus et surtout, j'avais deux autres câbles qui me sortaient du crâne pour évacuer mon sang dans des récipients bien dégueulasses.
Un vrai film d'horreur.
Je vous explique. Une simple piqûre peut provoquer une sévère suée, chez moi. Une prise de sang peut facilement me faire tourner de l’œil. Une perfusion... je pense que vous avez saisi l'idée.
Mais alors, des drains plantés dans mon crâne pour évacuer mon sang!?
Dans mon échelle phobique, la seule chose qui peut surclasser ces drains, c'est une sonde urinaire. Et on m'a bien expliqué que j'avais intérêt de pisser parce que sinon on devrait m'en poser une.
Donc, pour me "faciliter" la vie, on m'a donné un récipient, avec une ouverture spéciale acteur porno, destiné à accueillir mon urine sans que j'aie à bouger de mon plumard.
C'est un piège!
J'ai essayé encore et encore et encore. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis retrouvée avec ce truc entre les jambes, à regarder l'horizon à travers la fenêtre tout en adjurant à mon organisme de se détendre, nom de dieu de bordel parce que s'il se détendait pas, il allait se tendre un sacré coup et c'était vraiment pas le moment, alors on se calme et on se vide!!!!!
Mais non. Il m'était impossible de pisser dans ce truc. Le blocage psychologique venait s'ajouter au blocage physique, parce que non, on n'urine pas dans son lit, et encore moins dans ce genre d'engin.
La bonne technique, c'était de ramasser le récipient gauche, de vomir, de ramasser le récipient droit, d'embarquer le meuble en alu avec ses poches et de s'installer sur le trône. Et là, on repasse en revue les meilleurs pipis de toute sa vie histoire de se motiver, et on prend son temps.
Vers 23h, le pipi salvateur a enfin daigné faire une sortie. In extremis.
Quelques minutes plus tard, les deux infirmières sont arrivées avec la sonde urinaire, et j'ai pu leur annoncer, des trémolos dans la voix, que ce n'était plus nécessaire. Elles ont été déçues, forcément, et moi aussi. J'avais tellement envie d'ajouter ça sur mon CV, de repousser encore plus loin mes limites. Et non, j'allais rester avec mes préjugés et ma phobie.
Là dessus, il me fallait dormir. Avec des soignants qui passent régulièrement, un bruit de machine à laver surpuissante en mode essorage et une fuite bien audible au niveau des toilettes. Sans parler des douleurs, du lit trop petit et de la tuyauterie. Je savais que je ne réussirais pas à pioncer, alors je me suis occupée avec cette dernière. J'ai passé la nuit à défaire les scoubidous que j'avais involontairement réalisés avec mes câbles de glucides, d'antalgiques et de sang quand je suis allée jusqu'aux toilettes.
Enfin, entre deux tentatives, j'essayais quand même de trouver le sommeil, mais celui-ci se contentait de me mettre des claques à intervalles réguliers. Je "piquais du nez" et ça me faisait systématiquement sursauter.
Voilà, globalement, comment s'est passée ma première journée: à peu près aussi enrichissante et agréable qu'un meeting d'Éric Zemmour, mais avec un entourage bien meilleur, et j'y reviendrai au prochain épisode.
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