J'écris ces lignes moins de quinze jours après être passée sur le bloc, et je suis encore épuisée. Donc, il peut se glisser quelques coquilles et autres approximations.
Les montagnes russes. Je me souviens être sortie un peu perplexe de mon premier rendez-vous avec le chirurgien, qui m'avait annoncé qu'il y aurait quatre opérations, et qu'il faudrait un délai de six mois entre chaque. C'était avant le covid.
D'un côté, ça me semblait prudent et cohérent. On avait le temps de s'habituer de façon progressive à chaque changement et au niveau physique, ce devait être moins lourd. D'un autre côté, on partait sur deux années et quatre passages au bloc, avec anesthésie, convalescence...
De toute façon, puisque je n'avais pas à choisir, je m'étais dit que, peut-être, je n'aurais pas besoin d'aller jusqu'à la quatrième. Peut-être qu'une seule, ou deux opérations bien choisies auraient suffi à mon passing.
Mais il y a eu le covid qui a renvoyé ces changements à un futur incertain.
Quand la situation s'est stabilisée, le chirurgien que j'avais rencontré n'exerçait plus. Arrêt maladie de longue durée, je crois. Et le service avait oublié mon dossier donc j'ai dû attendre de longs mois avant qu'ils ne se rendent compte que j'avais déjà passé l'étape de la file d'attente.
Alors, j'ai rencontré un nouveau chirurgien, plus jeune, plus confiant, plus volontaire, qui a préféré pratiquer toutes les opérations en même temps. À l'époque, j'avais un travail salarié et donc la question de l'arrêt maladie a posé problème. Il était fixé à un mois, pour une petite structure, c'est ennuyeux, c'est sûr. Et ils craignaient que ça dure plus qu'un mois, au final. Alors, on avait convenu de faire ça début août 2023.
Je ne m'y sentais pas à ma place, dans cette petite structure, donc fin 2022, j'en suis partie et j'ai vite repris rendez-vous avec le chirurgien pour fixer une date au plus tôt. Sauf qu'entre-temps, bien sûr, les délais s'étaient allongés. La date a donc été fixée au mois de juin.
Bien sûr, j'appréhendais. J'ai la phobie de tout ce qui est chirurgical, je supporte assez mal les anesthésies et on voit très souvent tourner des opérations de ce type totalement foireuses. J'avais coutume de dire que j'avais peur de me retrouver avec la tête des Bogdanov ou de Donatella Versace.
Sans aller jusque-là, ce serait un énorme changement psychologique et social. C'est ma tête. Ce que les gens voient en premier, ce qui détermine visuellement mon identité, ce qui permet de me reconnaître.
Je détestais mon reflet, et c'est pour cette raison que j'ai passé beaucoup de temps, avant l'opération, à me regarder dans un miroir. Je scrutais ce qui n'allait pas, ce qui me donnait envie de me foutre en l'air, ce qui allait être changé. Je me demandais, si, vraiment, il fallait en passer par là. Après tout, pas mal de gens me genrent au féminin. Avec un peu de maquillage, peut-être que...
Non. Les traits identifiés avec le chirurgien me trahissaient, et le maquillage, même quand on en a une grande maîtrise (ce qui n'est pas mon cas), reste éphémère. J'aurais vécu en permanence avec cette idée que mon visage m'interdisait d'être totalement perçue comme une femme.
Avec un certain angle, une certaine luminosité, oui, je pouvais donner l'illusion de... mais beaucoup de gens, dans la rue, dans les magasins, continuaient à voir en moi un homme. À cause de mon visage.
Donc, il fallait en passer par là.
Je m'étais préparée psychologiquement, mais aussi socialement. Avec tous ces changements d'un coup, ce serait un coming out visuel permanent. Je ne pourrais clairement plus cacher ma transidentité à ceux qui me connaissent déjà et ceux qui ne me connaissent pas... ne verront plus la même chose que par le passé.
J'ai donc commencé à préparer le terrain, multiplié les coming outs, auprès de gens plus ou moins proches pour atténuer un peu l'impact. Je me suis également préparée à démarrer les changements administratifs.
Je m'attends à ce que ce soit le bordel pendant plusieurs mois, et puis tout le monde sera habitué. Certaines personnes auront disparu de ma vie, d'autres vont peut-être se rapprocher de moi.
Mais avant d'en arriver là, il y a eu quelques rebondissements.
Un premier, mineur, pour lequel la date était décalée de... deux jours. Ok, pas de souci, je ne tenais pas particulièrement à ce que ce soit un lundi. Un mercredi ira très bien aussi.
À une semaine de la date, alors que tout était calé, que j'avais trouvé quelqu'un pour m'amener, que j'avais planifié mon absence au boulot, je reçois un mail qui m'indique que l'opération est annulée pour cause de fermeture de salle de bloc. On me recontacterait ultérieurement pour me proposer une nouvelle date.
Colère.
La période n'était déjà pas top, me planter à une semaine, c'était pas possible. J'ai pas répondu. Je me suis dit que ça ne servait à rien. J'attendais une nouvelle date. Quand? Cet été? À la rentrée? Cette année? L'année prochaine?... J'en savais rien. Je voulais être tranquille avec ça, mettre cette angoisse et cette souffrance derrière moi et voilà qu'on était repartie comme au temps du covid.
Le lendemain de la date initialement prévue, une collègue me suggère de "harceler" le secrétariat pour avoir une nouvelle date. Sans conviction, j'envoie un mail, poli, dans lequel je fais part des mes interrogations et de mon anxiété.
Le chirurgien me répond, très vite, qu'il doit partir en octobre et qu'il va me confier aux bons soins d'une de ses collègues, que je ne connais pas, et qui a des délais autrement plus courts que les siens.
OK... Moyennement rassurant.
Et là, une heure plus tard, mon téléphone sonne. Le secrétariat en question me propose de fixer l'opération... le lundi. On était vendredi, ça me laissait un petit week-end pour me préparer de nouveau. Un désistement de dernière minute. À prendre ou à laisser.
J'ai accepté. Sous réserve de trouver quelqu'un pour m'amener. On me dit qu'au pire, on peut me prescrire un VTC. Mon accompagnatrice était d'accord, bien qu'un peu saoulée par ce nouveau revirement. Normal.
Voilà comment mon opération a été décalée de cinq jours.
Ce qui est rigolo, ou pas, c'est qu'une fois dans le bloc, l'anesthésiant prêt à m'embarquer pour un long voyage de plusieurs heures, j'ai appris que c'était le chirurgien prévu, que je connaissais, et non pas sa collègue inconnue qui allait me trifouiller.
"Ha non, moi je viens juste pour faire coucou, qu'il m'a dit. Mais non, je plaisante, bien sûr que c'est moi qui vais vous opérer..."
Sympa, hein?
Ne faites pas la même chose chez vous. Une opération, même réparatrice, même "esthétique", c'est sérieux, ça ne se fait pas dans la précipitation et la panique. Même si, là, c'est totalement ce qu'il s'est passé pour moi.
Et je vous ai pas encore raconté la suite...
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