Quand on vit dans un pays qui découvre à peine la transidentité, dont la majorité de la population ne fait pas la différence entre une personne trans, une personne travestie et une personne homosexuelle et qui doit donc, encore, dessiner les limites de la transphobie, notamment au niveau juridique, redéfinir les questions de genre, on se retrouve particulièrement sensible aux agressions.
Il y a deux jours, j'ai vu une vidéo d'un humoriste tristement célèbre qui se moquait, avec son comparse chanteur ringard reconverti dans le complotisme, des personnes trans. Ça n'aurait pas dû m'atteindre, parce que les sarcasmes d'un délinquant multirécidiviste et d'un parano désormais plus connu pour sa stupidité que pour son timbre ne devraient intéresser que les juges. Sauf que justement, la vidéo a été partagée, en intégralité, par un compte qui s'est couvert pénalement et moralement par un commentaire d'une hypocrisie coupable "Le nouveau dérapage d'Untel. Holala il est encore allé trop loin". Et les beaufs qui trouvent qu'on ne peut plus rien dire et qui, dans le même temps, veulent faire taire ceux qui ne partagent pas leur sens de l'humour, n'ont pas manqué de s'esclaffer.
C'est cette impunité morale et pénale qui blesse.
On peut se moquer de nous parce que la société ne nous connaît pas. On parle de la transidentité comme d'une mode, comme d'un caprice d'ado ou de bobo, et donc comme une sorte de costume qu'on peut enlever pour redevenir "normal", raisonnable, adulte. Pour beaucoup, c'est un peu comme se moquer des gros: "c'est pour leur bien, ça va les inciter à maigrir". Non. C'est juste de la malveillance, et l'ignorance n'est jamais une excuse.
Le soir-même, j'ai regardé un film, adapté d'une pièce de théâtre. Je ne m'imaginais pas me retrouver face à ce cliché, une fois de plus. Une femme trans, prostituée au bois de Boulogne, bien sûr, qui perd sa perruque et sa voix féminine pendant une fellation, ce qui fait que le personnage est gêné. Ressort comique ultra éculé. J'avais regardé ce film parce que j'appréciais l'acteur et réalisateur. Ce n'est pas un délinquant multirécidiviste connu pour sa stupidité, lui. Et donc ça pique. "Ha ouais? Lui aussi?..."
Deux sur une même journée, c'est dur.
Parce qu'il est légitime, dans ce genre de situation, de se demander qui d'autre nous trouverait ridicule s'il nous identifiait comme trans. Quel pourcentage de la population? Combien de nos proches? De nos voisins? Des gens qu'on croise tous les jours?
D'où l'intérêt, pour nous, de se fréquenter entre personnes trans, dans des associations mais plus souvent, sur Internet, pour se rassurer, se soutenir, pour ne pas trop s'isoler, pour s'aimer, souvent, aussi, parce que dans son contexte, on peut logiquement se demander qui d'autre qu'une personne trans pourrait aimer une personne trans.
Le problème, c'est qu'on se retrouve, un peu comme je suis en train de le faire actuellement, à parler de transphobie, à dénoncer, à montrer, à argumenter, à militer...
Et donc, on entre dans un cercle vicieux, au sein duquel nos adelphes nous rassurent directement et nous inquiètent indirectement, en nous confrontant à toute la haine que les intolérants, drapés de leur simplisme qu'ils appellent "bon sens" ou "biologie" ou "nature", crachent tous les jours.
J'ai dû masquer de nombreuses personnes que j'apprécie pourtant beaucoup, pour m'éviter de finir mes journées la tête dans les toilettes, avec des fantasmes à base d'essence et d'allumettes.
Parce que, et c'est bien humain, quand je vois des inepties transphobes, j'ai moi aussi envie de les dénoncer et d'expliquer en quoi c'est débile, en plus d'être malveillant. C'est tellement simple, si tentant. Et il faut, malheureusement, le faire, pour empêcher ces saloperies de se propager et d'en contaminer d'autres, influençables ou intéressés à notre éradication. Parce que, ben oui, ça a l'apparence du "bon sens", si on ne prend pas le temps d'y réfléchir deux minutes, de s'informer un minimum.
Le résultat, c'est que quoi qu'on fasse, quand on est trans, on est confronté à ces boules puantes en permanence, ce qui biaise notre regard. Tout comme une personne qui bosse dans le pénal depuis des années (...) a tendance à voir des délinquants et des délits partout, nous voyons, nous anticipons de la transphobie dans chaque interaction sociale potentielle, ce qui peut nous amener, parfois, à des excès.
Comment ne pas être à cran, dans ces conditions?
Et bien sûr, au final, les transphobes, qu'ils soient délinquants multirécidivistes, anciens chanteurs décérébrés, acteurs bourgeois bankables, féministes autoproclamées mais peu concernées par les féminicides, fascistes complexés, islamistes radicaux ou beaufs alcooliques, se servent de ça pour dire qu'on est des dictateurs cinglés, fragiles qu'il faut réduire au silence et soigner pour qu'on devienne comme eux.
Parce que la nuance, c'est trop complexe et c'est pas marrant.
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