J'attendais ce rendez-vous avec appréhension et impatience depuis à peu près deux ans. Et j'en suis sortie perturbée.
Avant d'y aller, je me suis fait la réflexion que mon moi adolescent et jeune adulte n'aurait jamais pu croire qu'un jour, à 42 ans, j'irai voir un chirurgien plastique. Moi, qui me moquais de la superficialité de certaines femmes, et aussi de certains hommes... Moi qui me disais qu'il fallait accepter ce que la nature nous avait donné. Et puis ce qui compte vraiment, c'est la beauté intérieure, hein?
Je ne suis pas totalement débarrassée de ces a-priori. Ce qui explique, en partie, mon appréhension. Est-ce bien raisonnable d'aller se faire charcuter la tronche?
Je n'ai pas le droit de me louper. Parce que le visage, sauf cas exceptionnels, on ne peut pas trop le cacher. C'est notre identité. C'est ce qui permet aux autres de nous reconnaître.
J'ai en tête ces cas, célèbres, de foirages chirurgicaux. Les Bogdanov, Donatella Versace... Il faut être raisonnable, et tomber sur un bon chirurgien, sinon les conséquences peuvent être dramatiques. Et comment on le sait, s'il est bon, le chirurgien?
Celui que j'ai rencontré est jeune. Il m'a fait très bonne impression en évitant notamment les maladresses à propos de ma transidentité. Il a tout de suite corrigé les documents pour intégrer mon prénom et mon genre choisis, de façon parfaitement naturelle. Alors que le vigile et les autres employés de l'hôpital qu'il a fallu rencontrer avant d'arriver jusqu'à lui m'avaient tous donné du "monsieur". Et ce, malgré mes efforts pour paraître un maximum féminine.
Je me suis, forcément, fait la réflexion que c'était bien foutu: je suis arrivée dans la salle d'attente définitivement convaincue que j'avais impérativement besoin de ses services à cause de ses collègues.
Il m'a ensuite expliqué ce qu'il peut faire, et ce qu'il ne peut pas faire, de façon très claire: il s'occupe des tiers haut et moyen du visage. Pour le bas, il peut m'orienter vers un confrère.
L'idée serait donc de relever mon front en pratiquant une incision soit sur le front, mais ça risque de laisser une cicatrice, soit au-dessus de la ligne des cheveux pour que la cicatrice soit invisible. Dans le même temps, il s'agirait de me remonter les paupières, parce que cet "affaissement" serait typiquement masculin. Ce qui explique pourquoi j'ai autant de mal à me maquiller les yeux: mes paupières sont trop masquées.
Je lui réponds que je comprends la théorie, mais que je ne me rends pas bien compte du résultat. Le type se lève donc de son siège pour se placer derrière moi, après avoir posé un miroir devant mes yeux. Et avec ses petits doigts, il a relevé mon front et mes paupières.
Grâce à ce tour de magie réalisé avec une grande dextérité, j'ai enfin compris pourquoi j'abhorre depuis toujours le côté droit de mon visage: il est nettement plus masculin que le gauche. Parce que par un sournois effet d'asymétrie, je n'ai aucun mal à relever mon sourcil gauche, tandis que le droit est condamné à rester plus bas.
Il m'explique également qu'il peut renforcer mes pommettes, avec du gras pioché ailleurs, ou avec de l'acide hyaluronique. Ce dernier coûte un peu plus de 100 euros, non remboursé, et s'estompe au bout d'un an, un an et demi. Ce qui peut être pratique pour essayer, avant d'opter pour le définitif (qui peut aussi s'estomper en cas de perte de poids).
Pour le nez, ce n'est pas remboursé, sauf déviation de la cloison et sauf si on tombe sur un praticien qui peut faire croire à la Sécu qu'il y avait une déviation. Mais la Sécu peut s'en rendre compte et sanctionner le chirurgien, et faire payer à la patiente 2700 euros. A garder en dernier recours, avec un compte en banque suffisamment rempli, donc.
Il me parle également de la poitrine, que je ne compte pas faire charcuter. Selon lui, une entente préalable est nécessaire, et pour l'obtenir il faudrait l'aval d'un endocrinologue, ce que je peux comprendre, mais aussi d'un... psychiatre. Et là, je tique sans rien dire, n'étant pas concernée, mais je ne vois pas bien ce qu'un psychiatre vient faire là, surtout pour un suivi... d'un an.
Je laisse le soin aux associations de creuser ce point, et éventuellement de batailler avec la CPAM.
Pour terminer, il m'indique me laisser un bon mois pour réfléchir avant qu'on se revoie, pour décider. A partir de là, ses délais d'intervention se situent entre 3 et 4 mois. Ce qui nous amène en décembre ou en janvier. Avec un mois d'arrêt pour cicatriser et redevenir présentable et encore quelques mois avant que les effets ne soient définitivement installés.
J'en suis donc sortie perturbée, parce que j'ai désormais la conviction que cette opération est nécessaire à mon passing. Ce qui implique qu'avant cette opération tout effort pour améliorer mon passing resterait vain. Ça m'a mis un petit coup au moral.
J'ai aussi pris conscience qu'on arrive dans le dur. Autant la pomme d'Adam, ça ne se remarque pas, la poitrine, je peux la masquer, autant là... ça va se voir. C'est le but. Les gens auprès de qui je ne suis toujours pas out vont le voir. Ma vie va réellement changer.
Est-ce vraiment ce que je veux?
Depuis ce rendez-vous, ma vie masculine défile devant mes yeux. Je repense à ma vie d'avant, à mes potes, à mes ex, à ma vie sexuelle... tout ce qui a déjà disparu. Je pourrais toujours revenir en arrière, bien sûr, mais...
Mais est-ce vraiment ce que je souhaite? Comme pour ma Pomme d'Adam, il s'agit de corriger une source de dysphorie, de rendre mon reflet plus supportable, tout simplement. Cela ne va pas non plus me forcer à porter des robes roses et des escarpins, mais... ça devrait me permettre d'en porter avec moins de crainte d'être identifiée comme "un mec en robe". Je pourrai toujours rester un "garçon manqué", si je le souhaite.
Il restera encore l'option "bas du visage", par la suite, si ça ne suffit pas à me sécuriser. Et évidemment, le bas du ventre, aussi, pour lequel j'ai rendez-vous en février.
Je sais que je vais le faire, mais j'ai peur. Peur d'y perdre le peu qui me reste: mes parents. Parce que mon identité, c'est aussi la leur.
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