Ma dernière publication date d'avril.
On pourrait se dire que ma transition est "terminée", vu que je n'ai plus rien à dire. En réalité, j'ai plus l'impression d'être en plein milieu du chemin, ce qui n'est pas super agréable.
J'ai les rendez-vous que j'attendais depuis longtemps. Le premier début août, pour féminiser mon visage. La machine devrait être relancée à partir de cette date, sauf covid. Et évidemment, j'éprouve des sentiments mitigés. D'un côté, je me dis qu'il ne doit plus manquer grand chose à mon passing et donc une petite intervention sur mon visage peut s'avérer déterminante. D'un autre côté, bien sûr, il s'agit de modifier mon visage. Impossible de le cacher, ce qui implique que je vais devoir assumer, un peu plus, ce que je suis. Une femme. Trans. Et puis, moi, faire de la chirurgie "esthétique"? Qui l'eut cru?...
Le second rendez-vous est prévu pour... février. J'ai le temps. Et derrière, j'imagine que l'opération, potentielle, ne pourra être fixée avant quelques années. A voir.
Il y a quelque chose comme un an, c'était inenvisageable, pour moi. Trop lourd, trop dangereux... Rien que d'y penser, j'avais une chute de tension. Mais voilà: il y a ce putain de reflet dans le miroir, il y a les bains, les douches, il y a "l'intimité". C'est l'été, il fait très chaud et traîner en culotte me déprime. Je dois sans cesse réfléchir à ce que je peux mettre pour sortir, histoire de ne pas choquer.
J'aimerais tellement porter un petit truc moulant qui ne laisserait aucun doute à mes voisins, à l'autre en général, que je suis une femme.
Chaque fois que j'envisage de repartir dans une relation, ça se termine toujours par cette même réflexion: "Qu'est-ce que je vais faire de ce truc?" Je le vois comme une sorte de bouchon qui m'empêche toute sexualité, et de me vivre pleinement comme ce que je suis.
Un rappel permanent et douloureux de ma condition peu enviable.
D'un autre côté, moi qui doute en permanence, je ne pourrais plus faire marche arrière, sans ce "bouchon"...
Et comment ne pas douter quand tu vois des gens de ton univers balancer des saloperies transphobes sur les réseaux sociaux, le plus naturellement du monde? J'ai évolué au milieu de ces gens, qui ne sont EVIDEMMENT "pas transphobes, mais". Les voir pester sur ce fameux "lobby", partager des vidéos dégueulasses, mégenrer l'actrice qui a participé à Miss France, en toute décontraction, le plus naturellement du monde.
Elle vient de là, ma transphobie intégrée. Toute ma vie, j'ai entendu, lu, vu ces comportements. C'est juste qu'avant, je ne me pensais pas concernée, dans mon déni, donc je n'y prêtais pas attention. Mais ça me blessait quand même, profondément. Les pulsions suicidaires contre lesquelles j'ai dû lutter si longtemps, et qui peuvent encore revenir quand je suis particulièrement fatiguée, n'y sont pas étrangères.
Ces gens sont "normaux". Ils peuvent même se revendiquer de gauche, lutter contre l'extrême-droite avec sincérité et intérêt. Ils sont partout, ce sont nos amis, nos cousins, nos collègues. Et ils nous voient comme des monstres, pensent qu'on devrait recommencer à nous cacher, qu'on est cinglés.
Voilà pourquoi, oui, j'ai des doutes, et donc me lancer dans des modifications aussi lourdes et définitives ne m'enchante pas. J'aimerais tellement pouvoir garder une porte de sortie. Genre "Non, mais c'est bon, je déconnais, je suis un mec, pas de souci et hétéro, hein?"
Ce qui me fait aussi douter, c'est l'hormonothérapie.
Mon orthophoniste, quand je lui ai parlé du gel et des patchs qu'on me prescrit depuis avril, a eu une réaction bien naturelle: "Et c'est à vie? Et les patchs, pour les relations intimes, ça doit pas être génial..."
Ha ben non. Avant, il y avait des patchs très pratiques, transparents et petits. Mais le labo a arrêté la production. Donc maintenant, les patchs sont énormes et... souvent en rupture de stocks. Donc, les pharmaciens doivent batailler pour en trouver d'autres, encore moins pratiques, plus petits et donc plus nombreux. Je me retrouve donc avec une surface de deux fois quinze centimètres de diamètre, extrêmement désagréable au toucher, sans parler de l'esthétique visuelle, au niveau des hanches. En permanence et à vie, tant qu'on n'aura pas trouvé une alternative.
Et en plus, il y a le gel. Une pression par jour. C'est correct, mais c'est une contrainte en plus. Une contrainte qui me rappelle, là aussi, au quotidien, que je suis trans et sous la dépendance de ces conneries.
Et c'est particulièrement désagréable, pour moi. Je suis en excellente santé, de base. Et je me retrouve avec des "soins" permanents, des rendez-vous médicaux nombreux, toute l'année. A vie. Même si certains vont disparaître.
Pas vraiment engageant, hein? Surtout dans une société insécure où l'extrême-droite ne cesse de progresser, et où, donc, même ceux qui ne sont pas d'extrême-droite trouvent qu'on devrait plutôt nous prescrire des psychotropes. Ou qu'on nous laisse crever, quelle importance?...
Il y a aussi les bonnes nouvelles: le laser, c'est terminé. Je n'ai plus, ou presque plus, de poils noirs sur le visage. Des années d'extrême souffrance qui prennent fin. A ceci près qu'en octobre, je vais commencer l'électrolyse, pour les blancs, qui restent assez nombreux. Et il paraît qu'en termes de douleur, c'est encore pire. Mais bon, c'est une étape. Il fallait bien y passer, de toute façon. On verra bien...
L'autre bonne nouvelle c'est que comme je suis stabilisée niveau boulot, je devrais commencer le théâtre en septembre. Ca me travaille depuis le lycée, au moins, mais je n'avais jamais vraiment eu l'occasion. Il reste à voir comment je serai intégrée, mais je dois faire ça avec une amie, donc ça devrait bien se passer. Et, évidemment, l'idée c'est de ne jouer que des rôles féminins.
Ca devrait énormément m'aider à investir ma nouvelle identité, et d'autant plus au niveau vocal.
Je pense qu'au niveau psychologique, ça devrait être déterminant, pour moi. Si ça se passe comme je le souhaite, je vais gagner énormément en confiance et en assurance. Ce qui peut résoudre les doutes dont j'ai parlé plus tôt, au moins en partie.
Pour le reste, il me semble que je suis en train de fusionner les deux identités. Avant, il y avait une frontière nette entre les deux. Au tout début, je ne réservais à mon identité féminine qu'un court créneau de quelques heures, de temps en temps. Aujourd'hui, je sors avec un maquillage relativement discret, un short très court, un t-shirt qui laisse deviner mes courbes... Dans le même temps, j'évite le maquillage trop prononcé et les fringues trop girlys, même quand je ne suis pas censée bouger de chez moi.
Je cherche le compromis, l'androgynie, tant que mon visage n'est pas plus féminin, sans parler de mon entrejambe.
Voilà pourquoi je disais être à la moitié du chemin. Je suis face au Rubicon.
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