Mon "hormoniversaire" est passé. J'ai "sauté du plongeoir" le 14 avril 2018... et je continue à douter.
Il faut dire que la période est compliquée. Il y a deux semaines, mon avocat m'a convaincue d'accepter le classement sans suite de ma plainte. Après avoir scruté le dossier, PV après PV, la conclusion est tombée, inexorable: je n'obtiendrai rien de mieux, pour des faits aussi anciens, avec un agresseur aussi intelligent et si peu d'éléments de preuve. Donc il vaut mieux s'éviter deux autres années d'enquête avec son lot de stress, d'espoir, de désespoir, pour au final en revenir au même point qu'aujourd'hui.
Je m'en doutais sérieusement, bien sûr. Mais j'avais besoin de l'entendre. Même si ça a été particulièrement pénible de remuer cette merde, une fois de plus. Mais maintenant, je vais pouvoir faire mon deuil, de cette plainte, de cette enquête, de mon désir de justice. J'ai fait ce que je pouvais. Si un jour une autre victime de cette ordure vient déposer plainte, ces PV viendront appuyer son propos. Elle sera plus crédible que moi et il pourra plus facilement être jugé, et condamné.
Mais en attendant, mon deuil a démarré. Le dernier PV, c'est le compte-rendu de la psychologue qui m'avait expertisée. Et la dernière phrase de cette expertise indiquait un très fort risque de "mélancolie" s'il y avait classement sans suite. Ou comment ne pas parler de dépression.
Je n'en suis pas là mais ces derniers jours j'ai ressenti cette sensation glacée derrière ma nuque, que je n'avais plus ressenti depuis très longtemps. J'alterne entre rage et détresse. Poing serré ou larmes aux yeux.
En parallèle, l'extrême droite est, de nouveau, aux portes du pouvoir. Dans son programme, elle s'abstient de développer son point de vue sur les gens comme moi. Juste une ligne pour indiquer qu'elle lancera des référendums sur les sujets sociétaux. Comme nos droits, ou le rétablissement de la peine de mort.
Alors oui, dans ce contexte, je me remets de nouveau en question. Avec cette phrase qui ressemble à un paradoxe: "C'est pénible d'être une femme trans et de n'avoir strictement aucune envie d'être une femme".
Cette phrase me résume totalement, et quand on y réfléchit, il n'y a absolument aucun paradoxe.
Je n'ai clairement pas choisi d'être trans, et si j'avais pu choisir, j'aurais été cisgenre. Clairement. Homme ou femme, qu'importe, mais cisgenre.
En même temps, je constate que nombre de femmes cisgenres auraient préféré être des hommes, sans pour autant être transgenres. Parce qu'on vit dans une société sexiste et que c'est quand même beaucoup plus simple et confortable d'être un homme.
Donc, objectivement, ça m'emmerde d'être trans et d'être une femme.
Quand je croise un inconnu dans la rue, pourquoi je voudrais qu'il me perçoive comme une femme? Je pourrais faire beaucoup plus d'efforts pour en arriver à ce résultat, pour augmenter mon "passing": utiliser tout ce que j'ai appris avec mon excellent orthophoniste, me maquiller, mettre en avant ma poitrine, porter des vêtements plus "féminins"... Mais pourquoi je ferais ça? Pour que cet inconnu me valide en tant que femme? Et après? Oui, sur le moment, ça fait plaisir. Sauf que je n'arrive pas à m'enlever de la tête que j'ai "dupé" cette personne et que si elle savait que je suis trans, sa perception aurait peut-être été différente. Ou pas. Et je gagne quoi? Au mieux, chacun suit son chemin, au pire, elle m'identifie comme trans et donc comme "duperie" et entre les deux: le sexisme.
Socialement, qu'est-ce que j'y gagne, à être perçue comme une femme? De mon point de vue, de l'insécurité.
J'ai été agressée sexuellement dans mon enfance, alors que je n'étais ni homme, ni femme donc, et l'extrême-droite est à plus de 30%, aujourd'hui, je le rappelle.
Il y a la dysphorie, le plaisir ressenti à toucher mon visage après une épilation, à me voir dans mon miroir maquillée quand la lumière et l'angle sont bons, le dégoût face à mon entrejambe, il y a mes fantasmes, et puis il y a la société. Et ma profonde solitude.
Bien sûr, je pourrais me replier dans ma communauté, tout simplement. Mais je n'en ai aucune envie. Elle est globalement toxique, cette communauté. J'ai même de plus en plus envie de m'en éloigner parce que je constate qu'elle me fait plus de mal que de bien. Elle est aussi soutenante que déprimante. Tout comme moi. Elle m'entretient dans des illusions propres à la réalité virtuelle, aux réseaux sociaux.En rédigeant ces lignes, j'ai le mot "secte" qui me vient, même s'il est franchement impropre: il n'y a pas de gourou, pas vraiment de pensée unique. Par contre, j'ai ce sentiment d'enfermement communautaire qui me dérange. J'ai fui les partis politiques parce que je veux rester libre, conserver ma singularité, ouvrir ma gueule même si les miens ne pensent pas comme moi. Et là, j'ai encore ce malaise qui me vient.
J'imagine qu'un psychologue me dirait qu'au vu de ma situation actuelle - sachant que je n'ai pas évoqué tous les sujets pénibles du moment- il est naturel de vouloir lâcher du lest. La transition est un combat, une lutte permanente, qui demande beaucoup d'énergie mentale, et là ça fait vraiment beaucoup de fronts en même temps, pour moi.
C'est vrai. Il y a sans doute, aussi, une grande part de dysphorie, en moi. Je suis trop fragile pour encaisser des "échecs de passing", dans ce contexte.
Et puis, dans mon esprit empreint de sexisme systémique, il est difficilement envisageable d'être en mode "combat", comme je dois l'être, et d'être en mode "femme". Je n'ai pas encore trouvé le moyen de faire coïncider les deux modes. Manque de références, sans aucun doute.
Et ce qui peut aussi sembler paradoxal c'est que quand je suis dans cet état de tension et de désespoir, je n'en ai plus grand chose à foutre des risques. Donc... je m'affiche avec maquillage et vernis, prête à répondre "Qu'est-ce t'as? Tu veux qu'on se marave?" au premier qui viendrait m'emmerder sur mon apparence de tafiole.
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