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La coquille craque de partout

 J'ai déménagé. Je suis de retour dans un village où j'avais déjà vécu pendant huit ans et où je me sens appréciée. Mes voisins ont l'air tranquilles et même accueillants. Un chat vient régulièrement me rendre visite. J'ai vu sur un pâture où évoluent plusieurs chevaux. J'ai un petit terrain, avec un noisetier, un sapin géant où niche le chat en question et un petit arbre non identifié qui fait sa vie tranquille. Absolument rien à voir avec mon précédent appartement. "C'est toujours les meilleurs qui partent", m'a-t-on dit deux fois alors que je déménageais. Ben oui. Hors de question que je reste là plus longtemps. J'avais la trouille, en permanence. Je n'osais évidemment pas m'affirmer comme femme trans. J'avais besoin de me sentir un minimum en sécurité pour ça.

J'ai un nouveau boulot. Je bosse pour des gens que j'apprécie, dans une bonne ambiance. Le travail n'est pas transcendant, mais j'ai un salaire fixe et ça me plaît bien. C'est un boulot où il y a très peu de mecs. Secrétaire... Parfait. Et j'ai commencé à m'outer auprès des collègues et des boss. "Peut-être que je m'en doutais un peu et puis ça ne change rien à la personne que tu es". "Ha non je m'en doutais pas du tout, mais c'est cool. Par contre, je vais avoir plein de questions à te poser..."

Mon état d'esprit change radicalement. Je suis dans une spirale positive. Je supporte de moins en moins de me cacher, et dans le même temps je me rends compte à quel point... c'est absurde. Cette semaine, alors que je me trouvais chez mon coiffeur et qu'il m'interrogeait sur ce que je comptais faire, j'ai commencé à balbutier, comme d'habitude et puis "En fait, je suis transgenre, donc quelque chose qui soit plus féminin, sans que ça fasse Christian Clavier dans Le Père Noël est une ordure, pas choquant, pas ridicule, ce serait bien". Son visage s'est illuminé. J'ai vu qu'il se doutait, mais qu'il ne pouvait rien dire. Je devais être "le seul mec" à dépenser une blinde chaque fois pour faire une couleur. Anguille sous roche. Ensuite, il semblait enthousiaste, avec plein d'idées, de conseils, de suggestions, d'envie... Jusque-là, il avait l'air plutôt emmerdé, cette révélation l'a comme libéré. "Votre visage a beaucoup changé, depuis le covid". "Il faudrait que vous voyiez une esthéticienne pour vous conseiller niveau maquillage. Avec un peu de maîtrise, on peut faire des choses étonnantes".

Je me suis un peu sentie conne, à chaque outing. A me dire "Ha? Ben merde, je m'en faisais une montagne et en fait...". J'aurais dû ça faire plus tôt. Sauf que plus tôt, j'étais dans un contexte insécure. 

Maintenant, je sors de chez moi avec une trace de crayon noir, légère, sous les yeux. Inenvisageable il y a quatre mois. Je me dis que même si je tombe sur des transphobes, ici, je pourrai gérer. Je vis dans une petite maison, et plus un appartement, je n'ai plus de parties communes à traverser, la densité de population est nettement moindre et il n'y a pas de petit caïd, de violents notoires à proximité. Et c'est un village, l'anonymat est particulièrement compliqué, ici.

La semaine prochaine, le maire sera au courant, aussi. Je l'ai sollicitée dans le cadre de son autre métier, en lien avec le soin. C'est un choix de ma part. Advienne que pourra, mais ça me semble mieux qu'elle sache.

Avec le temps, je suis en train de prendre confiance en moi, mais surtout en autrui. Autrement dit, je suis en train de créer les meilleures conditions possibles avant de m'attaquer au vrai boss: mes parents. Pour moi, c'est l'étape ultime. Une fois l'outing fait auprès d'eux, là, je me sentirai vraiment libérée.

Il faut savoir que ma vie sociale, en dehors de mes deux boulots, se limite quasiment à eux. Sinon, c'est Internet, et Internet, ça compte pas vraiment. La solitude commence à me peser sévère, j'ai besoin de me sortir de cet isolement induit par ma transition. Et éventuellement de trouver quelqu'un avec qui partager mes frites. Mais là, je crains que je ne sois pas encore à cette étape.

Une fois que je serai financièrement posée, que je connaîtrai précisément mes charges et mes aides, j'envisage même de m'essayer à la pole dance, avec l'adorable prof qui exerce juste à côté de chez moi. Ca pourrait être physiquement intéressant, et un challenge sympa.

Parce que pour ce qui est de la transition... J'attends toujours. Avec le covid, plus rien ne bouge. J'ai envoyé un mail tout à l'heure au dispositif pour décaler mon rendez-vous avec le psychologue. Lui faire part de mes avancées, c'est chouette, mais décaler une demi-journée de boulot et me taper l'aller-retour juste pour ça, bof. Là, j'ai besoin de rencontrer le chirurgien qui doit me ravaler la tronche et celui qui doit me ravaler les machins génitaux, au moins pour recueillir un max d'infos précises. Parce que oui, je commence à envisager sérieusement de toucher à mon entre-jambes.

Je continue à me faire carboniser le visage une fois tous les deux ou trois mois. Il reste quelques grappes de poils noirs qui résistent encore et toujours à la puissance du laser. Et l'orthophoniste. Je gère plutôt pas mal ma voix, mais il reste la question de l'endurance et... de l'adaptation à ma personne. Tout est en train de changer en moi et autour de moi. Au boulot, j'ai une voix qui me semble intermédiaire, assez androgyne... sauf que tout le monde l'identifie comme masculine, sans hésitation, au téléphone. J'ai besoin d'être out auprès de tout le monde avant de pouvoir expérimenter d'autres intonations, et aussi de me sentir assez à l'aise. Je me vois mal partir sur une voix bien féminine au téléphone et puis au bout de cinq minutes de conversation, rebasculer sans m'en rendre compte vers le masculin. Par exemple.

Il va aussi falloir urgemment que je me décide pour mes papiers. Ma carte d'identité est périmée depuis un paquet d'années, malgré la prolongation de validité de cinq ans (c'est vous dire si elle est vieille...), et ça commence à s'avérer ennuyeux pour certaines démarches.

D'ailleurs plus ça vient et moins je sens le prénom que je continue à utiliser... sur Internet. Un prénom épicène, qui ressemble assez à mon prénom "officiel", m'attire de plus en plus. Cependant, Laure me convient toujours parfaitement comme pseudo pour l'écriture, ou ici. Devrais-je aussi le mettre sur ma carte d'identité?

Il faut déjà que je trouve si c'est possible et comment s'y prendre. Heureusement, avec mon nouveau boulot, je suis plutôt au bon endroit.

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