J'ai l'esprit trop occupé pour m'épancher ici, depuis quelques mois. Et pourtant, j'ai pas mal de choses à raconter, même si au niveau de ma transition, il n'y a plus de grande avancée.
Voilà bien six mois que j'attends de parler au service juridique du dispositif qui me suit, pour savoir si je peux simplement ajouter un prénom sur ma carte d'identité, et comment. Idem pour le plasticien qui doit féminiser mon visage. Pour l'endocrinologue, j'ai l'impression qu'elle a baissé ma dose sans le vouloir. Je dois me faire analyser le sang très bientôt. On verra où j'en suis. Pour la pilosité, ça ne bouge plus énormément. En début d'année prochaine, on passera à l'électrolyse, que j'appréhende énormément.
Pour ce qui est de l'orthophonie, j'approche de la fin. Ma voix est nettement plus haute qu'à l'origine et je commence à pas mal gérer le registre léger. Manifestement, ça me plaît bien, puisque mon ancienne voix est en train de s'effacer, naturellement.
Ce qui me préoccupe, en ce moment, ce sont les à-côtés. Je dois déménager d'ici quelques semaines. Peut-être même quelques jours, je suis dans l'attente frénétique de la date. Je passe donc mon temps à me projeter dans cette nouvelle vie, et à anticiper le déménagement. Parfois, il m'arrive également de me projeter comme secrétaire juridique. Là aussi, je devrais avoir une réponse dans les jours ou semaines qui viennent. Je pense à peine à mon roman, Les Métamorphoses, envoyé à deux éditeurs. Réponse attendue début 2022. J'attends d'être un peu plus posée pour bosser à la suite. J'ai tellement d'idées, et si peu de temps.
Une fois dans mon canapé, à regarder la neige tomber sur ma pelouse, loin de ce voisin égocentrique, alcoolique et violent qui pourrit la vie de mon étage depuis des mois, j'y verrai tellement plus clair...
Aujourd'hui, je repense à cette période glorieuse, à la fin de l'été, qui n'aura duré que quelques semaines. Une période où il semblait évident pour tout le monde que je suis une femme. Je n'ai pas compris ce qui avait changé, et encore moins pourquoi ça s'est brutalement arrêté. J'avais même changé mon prénom et mon genre sur mon compte "drive", persuadée que j'avais enfin franchi le cap. Ben non. J'avais pourtant passé une soirée fort agréable dans un bar, en tant que madame. Surprise, j'hésitais à ouvrir la bouche, de peur de me trahir par ma voix pas encore bien au point.
Et maintenant, même la bouche fermée, c'est "monsieur", sans hésiter. Est-ce que ce seraient mes chaussures? Je ne vois rien d'autre qui aie changé, depuis. Mais je les ai justement choisies parce qu'elles me semblaient un poil plus féminines...
Il faudrait aussi que je perde mes 15 kgs pris en période covid/arrêt de la nicotine et de l'anxiolytique. Je me dis qu'une taille plus fine pourrait m'aider en termes de passing. Mais je n'en fais pas une obsession.
Il m'arrive encore souvent de douter. Pas de ma transidentité, ça c'est évident. "Arrêt de la nicotine et de l'anxiolytique", ça me semble assez clair comme preuve que je vais mieux. Non, le doute persiste sur la question du passing, justement.
Ma licence de lettres, mes cours de linguistique... J'en reviens toujours à ce fait: je ne peux forcer personne à me considérer comme une femme, à moins d'instaurer une sorte de transdictature, mais non. J'aime bien la démocratie.
Je peux inviter autrui à me genrer au féminin, je peux inciter à me voir comme une femme, en modifiant mon apparence, mais... beaucoup considéreront que ce n'est qu'un "leurre", une sorte de "tromperie". Il y a heureusement ceux qui s'en foutent, ceux qui voudront me faire plaisir, mais notre société reste binaire, et profondément transphobe. Il faut bien que je m'y adapte, vu que je ne me sens pas la force, au quotidien, de militer pour changer une vision aussi ancrée.
Et malgré le temps et mes efforts, cette transphobie m'imprègne toujours autant. Me confronter, quasi au quotidien sur Internet, aux discours transphobes ne doit pas aider. Comme je l'ai déjà dit, dans ma vie de tous les jours, hors ligne, je n'ai pas de remarque désagréable. Parfois un regard, ou un "monsieur" un peu abrupt m'amènent à m'imaginer une hostilité mais rien de plus. Et c'est sans doute parce que j'évite toujours ce qui pourrait être pris pour un "travestissement": le maquillage, les robes, les jupes etc Je reste dans la zone "androgyne", justement par sécurité. Avec mon déménagement dans un coin autrement plus calme, avec un taux de délinquance bien différent, j'envisage de franchir le pas, toujours de façon progressive.
Au début, j'étais pressée de finir ma transition, aujourd'hui, je comprends que j'ai besoin de m'inscrire dans un temps long. Mon psy appelle ça "la technique de la boîte d'allumettes". Parce que j'enlève une allumette à la fois, de temps en temps, si bien que personne ne voit la boîte se vider. Et puis un jour, elle sera vide, et je serai une femme, pour tout le monde. En tout cas, c'est le plan.
Mais comme il m'arrive régulièrement, avec la fatigue et les mégenrages, à douter de l'efficacité de ce plan, de la possibilité d'atteindre cet objectif, d'une façon ou d'une autre, j'ai un plan B. Ça s'appelle un compromis et c'est un peu ma spécialité.
L'idée, c'est que comme j'ai pu survivre pendant 42 ans dans un rôle masculin, je pourrais simplement m'en foutre de la façon dont les gens me perçoivent, ou alterner, ou rester dans l'androgynie niveau apparence. La non binarité, comme refuge. Ce n'est pas l'idéal, mais... je suis déjà dans ce rôle depuis l'adolescence, finalement, à alterner.
Je ne serai jamais une femme cisgenre, mais je peux m'en approcher un maximum, sans m'attirer les foudres de cette société avec laquelle je dois bien composer. Et puis, si j'attends assez longtemps, en alternant, peut-être bien qu'un jour, sans que moi-même je m'en rende compte, elle sera vide, cette boîte.
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