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Se réapproprier son apparence

 Jeudi, ma tatoueuse a continué son oeuvre, sur mon flanc gauche, et elle m'a percé l'oreille droite. A cette occasion, j'ai pu discuter longuement avec elle de ce qui lui tient à cœur.

Elle m'a expliqué que pour elle, le tatouage n'a rien d'une mode et ne se limite pas à une pure question esthétique. Elle a besoin qu'il y ait des émotions derrière le projet, du sens. Et son vrai combat, c'est surtout le recouvrement de cicatrices, pour lequel elle s'est récemment formée.

Parce que dans notre société, et particulièrement pour une femme, l'apparence est primordiale. Elle m'a sorti plusieurs exemples de femmes plombées au niveau professionnel comme personnel par un physique transformé par la maladie ou des accidents. Et plombée aussi par des c*nn*rds qui s'arrêtent à ces défauts, qui en prennent prétexte pour les rabaisser, les quitter, les virer.

Et donc elle m'a expliqué que recouvrir ces marques par des tatouages permet de se réapproprier ses blessures, ses marques, ses cicatrices, son corps, son image... On fait quelque chose de beau, d'artistique, avec quelque chose perçu comme moche et rattaché à de très mauvais souvenirs. Du genre cancer. 

On ne subit plus, de façon passive son corps et ses accidents, on en reprend la maîtrise, comme on peut le faire avec sa coiffure, ses vêtements, son logement, sa voiture... Rien de superficiel, l'humain a toujours agi ainsi, depuis qu'il n'est plus primate. Si on ne peut pas réparer, on peut le cacher, ou l'accepter en y apportant une touche personnelle, originale, esthétique. Ce qui permet également de marquer sa singularité, de se démarquer.

Et forcément, j'y vois un parallèle avec les transitions. Là aussi, l'idée est de se réapproprier son apparence, son corps, et jusqu'à son genre. Effacer ou maîtriser un vécu, une histoire douloureuse forcément liée à notre corps, pour devenir soi-même, marquer sa singularité, se faire un peu mieux accepter dans la société (ou pas), avec une apparence plus conforme à ce qu'on est en réalité.

En ce qui me concerne, donc, mon premier tatouage (et aussi dans une moindre mesure, le second) avait pour but de matérialiser ma souffrance, qui ne se voyait pas, qui n'avait laissé aucune cicatrice, aucune marque, ce qui présente également quelques inconvénients puisque la société attend de nous qu'on se comporte comme si on n'avait aucune souffrance, aucun handicap. Chacun d'eux marque une partie de mon existence. Et bien plus encore.

Le piercing, c'est peut-être un peu moins symbolique et un peu plus purement esthétique. Mais il s'agit aussi, quand même, d'appuyer, timidement, ma féminité. Parce que je le vaux bien. Non?

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