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Mon fantôme

 Depuis mon adolescence, j'ai un cauchemar récurent. Autant les araignées, les serpents et les sorcières, j'ai fini par en venir à bout, au profit de rêves dans lesquels je combats des monstres, comme des xénomorphes, mais sans en avoir peur, autant le fameux fantôme... 

Ce qu'il faut comprendre, c'est que les monstres, je peux les combattre. Comme le dit si bien Dutch, joué par Schwarznegger dans Predator: "Si ça saigne, on peut le tuer". Dont acte. Mais le fantôme, c'est juste une présence, invisible mais oppressante. Comment on peut tuer ou vaincre un fantôme? 

Il y a les prières, il y a l'ésotérisme et... je suis passée par là, mais j'en suis revenue. Et je suis passée à un rationalisme extrême. Je ne me vois absolument pas faire machine arrière. Alors comment?

Je suis restée bloquée sur cette question pendant... une vingtaine d'années. En même temps, les cauchemars se sont largement espacés et ne constituent plus, a priori, un réel problème depuis un moment. Sauf... si je continue à en faire, sans m'en souvenir, ce qui expliquerait mes nombreux réveils chaque nuit et mon état de fatigue permanent. Je ne peux pas totalement exclure cette possibilité.

Et puis, dans la nuit de samedi à dimanche, le fantôme est revenu. J'avais acheté une nouvelle maison, je venais d'emménager et je l'ai senti lors de ma première nuit: il était là. Alors, comme je ne suis plus comme lors de mes premières années de cauchemar, une victime passive, je suis descendue, en attrapant une sorte de batte au passage. Et là, sans le voir, je savais où il se trouvait. Et j'ai frappé, encore et encore, avec ma batte, jusqu'à me réveiller, sur cette scène absurde, avec la conviction que je l'avais touché. Et le cœur qui battait la chamade, de trouille.

J'ignore comment, dans cet état d'endormissement et de panique, j'ai pu faire preuve, aussi vite, d'autant de lucidité. D'abord, l'absurdité de frapper un fantôme avec une batte. Et ensuite... pourquoi? Il était là, dans ma nouvelle maison, et il me faisait peur. OK, et alors? Peut-être que c'est sa maison aussi, et peut-être... qu'il a aussi peur que moi, sinon plus. Il ne m'a rien fait et moi je déboule avec ma rage et une arme pour le défoncer. Pourquoi? 

J'ai tout de suite compris.

Depuis longtemps, je sais que dans mes rêves, mon crâne, mon cerveau est représenté par ma maison. Elle peut prendre plusieurs formes, pendant longtemps mes rêves et mes cauchemars se déroulaient dans la maison de ma grand-mère et donc de mon enfance, mais c'est une constante: la maison, c'est ma tête. 

Et dans cette maison, il y a donc eu tout un tas de saloperies terrifiantes que j'ai réussi à chasser pour la plupart. Sauf le fantôme. Et tout de suite, j'ai fait l'analogie avec mes séances d'hypnose et avec ce qui m'avait conduite à mes séances d'hypnose. Le fantôme, c'est ma mémoire traumatique. Elle est là, dans ma tête, on ne peut pas la chasser et elle me terrifie en permanence. Mais elle fait partie de moi. C'est pour cette raison que je ne peux pas la chasser. Essayer de la combattre ne fait qu'aggraver les choses. En réalité, c'est exactement l'inverse que je dois faire: l'accepter, lui donner une place, essayer de l'apaiser, de la rassurer.

Ce fantôme m'en veut, oui. Parce que je le combats depuis l'adolescence, parce que j'essaie de l'enfermer, de le cacher, alors qu'il est en souffrance et a besoin d'aide et d'amour. Je n'ai fait qu'aggraver cette situation de conflit, encore et encore. Je n'ai fait que rendre cette coexistence de plus en plus difficile, alors qu'elle est incontournable.

J'avais la solution sous le nez depuis le début, mais je ne parvenais pas à la voir. Ou je ne le voulais pas. Je lutte depuis une vingtaine d'années, tout en m'enorgueillissant de mes victoires, d'être une combattante, alors qu'il me fallait, en réalité, déposer les armes et accepter cette douleur, pour pouvoir la calmer. Pendant tout ce temps mon inconscient m'envoyait des messages, à peine codés, pour me faire comprendre...

Et maintenant? Cette nuit, j'ai fait un rêve d'une banalité consternante. Ça ne m'était plus arrivé depuis bien longtemps, je crois. Maintenant que j'ai fait ce travail, maintenant que j'ai compris, que va-t-il se passer? Est-ce que je vais fusionner avec le fantôme pour enfin reformer une entité complète, avec la raison et les émotions? Est-ce que mes nuits vont être plus reposantes? Est-ce que mon hypophyse va reprendre sa taille, sa couleur et son activité normales?

Ou est-ce que je me berce d'illusions?

En tout cas, mon cerveau a encore produit une magnifique trame pour un roman.

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