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Entre placard et exhibitionnisme

 Depuis la puberté, je canalise ma transidentité. La plupart du temps, je la planque et puis dès que j'ai l'occasion, je la laisse exploser.

C'est d'autant plus vrai depuis ma transition. Moi qui abhorrais les selfies, voilà que j'en ai des centaines sur mon téléphone. Et je les partage, ce qui signifie que j'apprécie ce que je vois sur ces photos, que je n'en ai pas honte, que j'en suis même fière.

On est donc sur un paradoxe.

Pourquoi passer mon temps à cacher ma transidentité si... je suis fière de mon apparence?

Parce que les photos ne montrent qu'une partie soigneusement choisie et éclairée de moi, et que les autres parties ne me font pas le même effet. Parce que la communauté, sur les réseaux sociaux, me rappelle quotidiennement ce que peut subir une personne identifiée comme trans. Alors j'évite de prendre des risques.

Mais la pression est de plus en plus forte. Plus le temps passe, plus ma transition avance et plus il m'est pénible de me planquer. Porter des vêtements suffisamment amples pour masquer ma poitrine, rester au maximum dans l'androgynie, conserver cette voix qui me déprime... 

Alors oui parfois, ça craque, je craque. Et je me montre, j'essaie même de susciter du désir. Ce qui doit franchement surprendre quiconque me connaît, surtout en sachant que ma libido est en berne. L'exact contraire de ce que j'ai toujours été. J'agis comme si je voulais que le monde entier me voie telle que je suis.

Et ce n'est pas très équilibré comme situation. Cela dénote un important combat interne entre différentes facettes de ma personnalité, qui sont toutes bien réelles, mais qui peuvent difficilement coexister. Jusqu'à ma transition, j'avais trouvé un équilibre, extrêmement malsain, extrêmement contraignant, mais ça tenait. Fallait juste tirer un trait sur les relations sentimentales trop longues, qui m'obligeaient à retenir ma transidentité trop longtemps. Aujourd'hui, je me pose la question tous les jours. Est-ce que je mets ces pompes avec de petits talons qui font clac clac quand je marche et qui me font perdre des points de virilité? Est-ce que je vais au boulot avec ce pull qui laisse deviner mes formes pour peu qu'on regarde à cet endroit et qu'on soit susceptible d'admettre que quelqu'un comme moi ait des seins, ou est-ce que j'ajoute, en dessous, un gilet sans manche qui va lisser tout ça et me faire crever de chaud? Est-ce que j'essaie progressivement de changer ma voix? Est-ce que j'opterais pas pour autre chose que cette queue de cheval toute triste? Est-ce qu'il ne me resterait pas une lichette de khôl sous les yeux?

Tous les jours.

Et évidemment cette tension a des effets délétères. Il m'arrive, souvent, (surtout les très rares fois où il m'arrive d'avoir un crush, comme disent les jeunes, et que ma transidentité, mon apparence à moitié "masculine" me poussent à laisser tomber) d'avoir des coups de mou. De me dire que c'est l'enfer d'être trans. J'en ai marre de tous ces rendez-vous. Psychologue, dermatologue, endocrinologue, plasticien, orl, orthophoniste, pharmacienne, infirmières... J'aimerais tellement faire autre chose de ma vie que des prises de sang, de me coller des patchs énormes et immondes deux fois par semaine, me faire charcuter, planifier mes rendez-vous, le train... Deux ans et demi de transition et oui je continue à me cacher. Parce que je continue à me dire que non ça va pas le faire. Sans compter les discours transphobes, qui atteignent, forcément. "Tu seras toujours un mec". Et de me dire "quand j'aurai Alzheimer, qui va s'occuper de mes patchs et, éventuellement, de mes exercices de dilatation?" Parce que ouais, c'est à vie. A un moment, les opérations, l'orthophoniste, la dermato, ça va s'arrêter. Mais il y aura toujours à minima ces foutues hormones.

Alors oui, souvent, j'ai très envie de faire machine arrière toute. Est-ce qu'il ne serait pas plus simple et donc plus épanouissant d'arrêter de lutter contre mon organisme? Oui, je suis trans, c'est une évidence, ce qui implique, pour moi, d'avoir à choisir entre la peste le choléra. La dysphorie et une vie faite de contraintes et d'angoisses de se faire identifier comme trans par une sale personne.

C'est aussi pour ça que je craque. Une façon maîtrisée de faire un doigt d'honneur à tout ça. "Regardez moi! Je suis trans, je m'aime telle que je me montre et je vous emmerde!"

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