Il y a une quinzaine de jours, j'ai passé une séance d'hypnothérapie, dans le but de me reconnecter à mes émotions. Il en faudra sans doute d'autres, pour remédier à un problème aussi ancien, aussi ancré, aussi complexe. Mais des choses ont bougé dans ma tête. Il m'est difficile de les définir, mais quelque chose en moi a changé. Une graine a été semée, et il convient donc d'attendre un peu avant de se prononcer.
Et hier, il s'est passé un nouvel événement qui a eu un impact sur moi. Peut-être l'hypnose et cet événement ont-ils résonné en moi.
Un ami m'a donné des nouvelles de celui que j'avais toujours considéré comme mon frère. On se connaît depuis le collège. Lui, c'était l'étranger dans cet établissement et cette petite ville, moi j'étais le bizarre, le tordu, le fou, le mou, le zombie, le fantôme. Une autre forme d'étranger. On a morflé, ça nous a rapprochés. Lui, c'était la passion, moi la raison. Il me secouait, je le modérais. Il me protégeait des autres, je le protégeais de lui. On avait des désaccords, mais on était globalement synchrones. On partageait des valeurs communes. On se complétait. C'est du moins comme ça qu'on voyait les choses.
Sauf que progressivement, je l'ai vu partir à la dérive. Depuis le début des années 2000, quelque chose semble le torturer et lui faire perdre pied. Le cannabis, consommé de façon industrielle ne doit rien arranger. Il a commencé à prendre des décisions... étranges. Comme quitter le boulot qu'il trouvait génial et qu'il avait mis des années à trouver... pour se retrouver sans rien, chez papa, maman.
Il allait mal, mais son orgueil l'empêche toujours de parler, de se confier, de demander de l'aide. C'est un mec, un vrai. Un crétin, donc. Je doute que l'orgueil soit la seule chose qui le bloque. Je pense qu'il est soumis à un conflit interne, terrible. Mais de fait, je n'en sais rien.
Ces dernières années, la situation s'est largement dégradée. Je l'avais encouragé à revenir chez ses parents, pour en profiter avant qu'ils ne meurent, qu'ils se réconcilient. Mais on était d'accord: ça ne devait pas durer sinon il risquerait de sombrer, dans cette ville qui ne lui a jamais réussi. Qui à mon sens ne réussit à personne.
Il y est resté. Il avait plein de projets, il a tout abandonné. Et j'ai toujours trouvé ses raisons très légères, voire incohérentes. J'ai essayé de l'aider, de le motiver, de l'écouter, de le conseiller. Mais il n'entendait rien et moi je ne comprends toujours pas ce qui lui arrive.
Un jour, je suis allée le voir, pour lui faire mon "coming out", et l'entendre faire un point sur sa situation. Je voulais comprendre ce qu'il avait en tête, ce qu'il voulait, ce qu'il cherchait. Il a commencé par là, et je n'ai rien compris. Son but ultime, c'était d'avoir une femme et des enfants, un foyer, alors qu'il faisait absolument tout pour que ça n'arrive jamais. Sans compter sa vision...étrange de la femme, qu'il avait toujours eue, mais j'y reviendrai. Pas de RSA, parce qu'il voulait rester "libre". Libre de quoi? Sans argent, on n'a même pas la liberté de manger Heureusement que sa mère y subvenait, ainsi qu'à sa drogue... mais le type que j'ai connu n'aurait jamais accepté une telle situation. Le travail? Bien sûr, mais pas un boulot au SMIC: il a refusé un boulot "à 400 euros par semaine", alors... Alors quoi? Il les refuse tous, systématiquement. En vérité, il refuse absolument tout.
J'ai essayé de lui faire comprendre, en douceur, que ses propos sont incohérents, irréalistes, qu'on aurait dit, parfois, un ado de 15 ans, idéaliste, déconnecté du monde des adultes, irresponsable. Je lui ai dit que je m'inquiétais sérieusement pour lui. Il ne fallait pas, il était "optimiste", lui. Je ne savais pas comment le prendre, que faire, que dire.
Je lui ai dit que j'étais transgenre, ensuite. Ca l'a perturbé, mais il a semblé bien le prendre. Il m'a posé plein de questions. J'ai espéré que ça pourrait avoir un effet positif sur lui, comme un électrochoc. Il refusait tout changement, toute avancée alors je lui montrais que moi, à l'inverse... Il m'a dit qu'il avait besoin qu'on se voie plus souvent, pour s'habituer progressivement à l'idée. On s'est mis d'accord pour se voir tous les 15 jours. On s'est quittés sur des sourires et des vannes. On ne s'est plus jamais revus. Il n'a plus jamais répondu à mes appels, à mes messages, que je continuais pourtant à lui envoyer.
J'avais cependant des nouvelles par cet autre ami. Très mauvaises. Il y a quelques mois, ils ont failli se battre, parce que lui dont la mère est malade refusait de porter un masque. Comment on peut s'engueuler à ce point avec un ami de longue date, le seul qui lui restait pour un motif aussi ridicule?
Et donc hier, j'ai eu droit à la suite. Celui que je considérais comme mon frère avait prêté sa console de jeux à l'autre ami, avant leur embrouille. L'autre ami a tenté de le contacter pour la lui rendre, sans réponse. Et il y a quelques jours, ce type avec qui je me suis construit une bonne partie de ma vie, ce type dont je croyais partager les valeurs, est allé devant chez les parents de cet ami, avec un couteau, pour hurler, invectiver, menacer...
J'ai dissuadé cet autre ami de lui casser la gueule. Ce ne serait bon pour personne. Mais... si on en vient à sortir dans la rue avec un couteau pour un motif aussi futile, qu'est-ce que ce serait pour un motif un peu plus sérieux? Est-ce que ce type au comportement incohérent, haineux, ne va pas finir avec sa photo sur BFM ou CNEWS?
Quand j'ai appris ça, et d'autres détails, j'ai eu envie de pleurer. Entre nous, c'était moi qui étais fragile. Stress post-trauma, dissociation traumatique, dépression.... J'ai failli me retrouver deux fois en hôpital psychiatrique, à cause de tout ça. Moi aussi j'ai eu des phases inquiétantes, avec des pensées incohérentes, délirantes. Il y a longtemps, maintenant, et jamais de cet ordre, jamais à ce point. Je culpabilisais aussi. A côté de quoi je suis passée? Qu'est-ce que j'ai raté? Qu'est-ce que j'aurais dû faire? Pourquoi lui qui semblait si solide, qui m'a ramenée pas mal de fois dans la lumière, sur le chemin et pas moi? Avec l'autre ami, on partageait cette incompréhension: ce n'est pas le type qu'on a toujours connu, ça n'aurait jamais dû se goupiller de cette façon, son destin aurait dû être complètement différent. Si mon frère, celui que j'ai toujours connu, se retrouvait face à ce type, il lui mettrait un ippon et lui cracherait dessus. Jamais il n'aurait accepté de finir comme ça. Et pourtant...
Cette nuit, j'ai rêvé de la maison de ma grand-mère. C'est récurent depuis très longtemps chez moi. C'était le lieu où j'ai vécu mes plus belles et pires années, c'est devenu par la suite le lieu de tous mes cauchemars. J'ai compris depuis longtemps pourquoi. Cette maison, c'est moi et tout ce qui m'a construit. Ma famille, mes amis... Cette nuit, cette maison avait des murs beaucoup trop rapprochés. C'est à peine si je pouvais passer. Il y faisait très froid. A un moment, néanmoins, je me suis retrouvée dans une chambre et j'ai décidé que ce serait la mienne. Elle était pourrie mais les murs étaient suffisamment écartés pour pouvoir y respirer. Il faudrait la retaper, comme toute la maison, mais ça ne me faisait pas peur. Ce qui me faisait peur, par contre, c'était cet escalier qui menait au grenier. J'ai décidé de ne pas m'y engager. Pas tout de suite. Mais cette pièce-là aussi aurait droit à son relooking, j'étais déterminée.
Il peut être important de préciser que lors de ma séance d'hypnose, j'ai été amenée par mon inconscient dans... le jardin de ma grand-mère. Et que j'en ai fait une zone sécurisée où je pourrais trouver toutes les ressources dont je pourrais avoir besoin dans ma vie. Du moins, pour sa version mentale, vous l'aurez compris. Cette maison et son jardin n'appartiennent plus à ma famille, et je le regrette amèrement, mais c'est un autre sujet.
A mon réveil, j'ai donc cogité. J'ai repensé à ma conversation de la veille, et à cet ami. Est-ce si surprenant qu'il ait fini par prendre ce chemin, si différent du mien? Il s'en est toujours défendu, mais... il s'est toujours montré sexiste, homophobe et même raciste. Combien de fois il m'a fait honte par son attitude? Mais c'était pour rire. Il le pensait pas vraiment. Elles ont toujours été là, ces graines, bien plantées dans sa tête et elles ont simplement poussé, l'air de rien. Et moi j'ai toujours évolué à côté de ces graines qui poussaient et qui ont toujours été violemment toxiques, pour moi. Oui, il m'a protégée, mais pour mieux empêcher les miennes, de graines, de pousser, pour mieux m'enfermer dans sa haine. Est-ce qu'il valait mieux que ces autres? Non.
Oui ma maison est étriquée, parce que tous ces gens, comme lui, ne me laissent pas la place pour respirer, pour être moi. Et j'accorde tellement d'importance à ces gens, qui m'ont protégée, nourrie, aidée, acceptée... Alors qu'en réalité, ils méprisent profondément ce que je suis. Ils m'empêchent de m'accomplir, empêchent mes ailes de se déployer. Je conseille une fois de plus la lecture de Glu, d'Irvine Welsh, qui illustre magnifiquement ce phénomène.
Je dois pousser les murs de ma maison. Je dois mieux l'isoler. Je dois affronter ce qu'il y a dans le grenier et y faire un gros coup de ménage. Et je dois l'aménager. Cela implique des changements radicaux dans ma vie.
Mon "frère" a demandé à mon autre ami comment il pouvait parler à des homos. Dont acte. Tu as fait tes choix, malgré moi, contre moi. Je ne vais pas m'acharner. Tu as choisi le chemin opposé au mien, celui de la haine, de la violence, alors bonne route.
Il y aura probablement d'autres murs, d'autres piliers qui vont s'effondrer dans les mois qui viennent. Peut-être que c'est toute la baraque qui va se casser la gueule. Qu'importe? J'en reconstruirais une plus confortable, plus saine, à mon image. A ma vraie image.
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