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Les médecins sont des autorités contestables

 Quand on entame une transition, on se retrouve très vite entouré d'un grand nombre de praticiens de santé, de généralistes, spécialistes, auxiliaires de santé etc Et il faut faire très attention.


J'ai une licence de lettres modernes. J'ai toujours été nulle en maths, sciences physiques, sciences et vie de la terre... Alors, par principe, par logique, quand je me retrouve face à une personne qui a fait médecine qui affiche jusqu'à bac+12, je respecte et je m'incline. Qui je suis moi, pour remettre en question son diagnostic, son expertise, ses prescriptions, ses recommandations? Personne. Rien. Alors je hoche la tête et j'obtempère.

Sauf que, sans même parler des médecins qui se succèdent sur les plateaux télés depuis janvier pour se contredire les uns les autres, mon expérience m'a démontré à plusieurs reprises à relativiser cette autorité.

Il y a quelques années, dans une unité des troubles du sommeil, un médecin, avec sa blouse, qui en imposait avec son regard autoritaire et son absolue confiance en lui.  Je lui explique ma situation, lui ramène des plannings de sommeil et j'écoute alors ses recommandations, couchées sur papier, les yeux écarquillés. Jusqu'à la fin de ma vie, je devrais me lever à 7h, avec une exception uniquement le dimanche: 8h, pour enchaîner avec 30 minutes de marche rapide, absolument tous les jours jusqu'à ma mort, je le répète. Dans le même temps, interdiction d'écrans après 22h, autorisation, alors de lire un livre mais uniquement un livre ennuyeux, rien d'excitant. Au niveau des produits, justement: plus d'alcool du tout, jamais, bien sûr, idem pour le café, le thé et... le chocolat. Je vous passe l'intégralité de cette longue liste de contraintes et de privations. Plus de sorties, plus de films à la télé, quasiment plus de loisirs. J'en ai parlé à mon entourage et surtout à mon psychologue. Tout le monde a éclaté de rire. Ces recommandations étaient du bon sens... dans une autre société que la nôtre. Là, elles sont totalement déconnectées de la réalité et surtout complètement déséquilibrées. Aucun animal ne pourrait suivre un tel programme sans finir par se suicider. Il faut des contraintes, mais il faut aussi des récompenses, du plaisir. Entre une vie où on dort correctement mais sans plaisir et une vie où on dort mal mais avec quelques plaisirs, le choix est vite fait.

C'est en substance ce que je lui ai rétorqué, ce qui a mis fin à mon suivi. Pas assez de volonté. Elle a rédigé un rapport dans lequel elle expliquait que mes troubles du sommeil étaient dus à mon alcoolisme et à ma toxicomanie. J'ai de nouveau éclaté de rire face à cette blague. Deux ou trois bières par semaine font de moi un alcoolique pour cette autorité médicale. Et avoir fumé du cannabis quand j'étais ado fait donc de moi une toxicomane jusqu'à la fin de mes jours. Comme quoi on peut être à la fois médecin et clown.

Plus tard, il y a eu la maladie de ma mère, qui l'a amenée à l'hôpital. Et ce pneumologue qui nous dit qu'elle sera de retour à la maison d'ici quelques jours. On s'est regardés, avec mon père, les yeux écarquillés, de nouveau. Trois mois plus tard, elle était toujours dans cette même chambre. Evidemment. La même année, après son retour, il y a eu une rechute. La généraliste s'est montrée optimiste: ça allait passer vite, rien de méchant. Trois semaines plus tard, elle était de retour à l'hôpital, avec une embolie en plus de son emphysème habituel. Il avait fallu que ma mère soit au bord de la mort et qu'on s'énerve pour qu'il y ait une réaction.

Et enfin, le toubib qui me suit jusque-là pour mes prescriptions d'hormones. A la base, j'étais suivie par une référence au moins régionale en la matière, mais... il a dû prendre sa retraite peu de temps après. Il m'a néanmoins redirigée vers ses collègues, qu'il avait de toute façon formés. J'en ai donc choisi une au hasard et je lui ai fait confiance.

Sauf que dès le départ, elle a critiqué la prescription de son prédécesseur: la dose d'oestrogènes était trop forte, c'était dangereux. Bizarre, tout le monde me dit plutôt l'inverse, mais... autorité médicale, expérience, j'accepte qu'elle baisse le dosage une première fois. Mais c'est toujours trop élevé pour elle. Alors on finit par rebaisser. Dans le même temps, je lui fournis de la documentation très bien faite et surtout le contact de celle qui est à l'origine de cette doc, dans l'espoir qu'elles puissent discuter et se mettre d'accord, vu qu'elles ont des positions totalement opposées concernant les hormones. Je retourne la voir trois mois plus tard, pleine d'espoir: elle n'a pas eu le temps de regarder la doc. Coup de bambou mais je sais bien que les toubibs ont énormément de travail. Elle me promet de s'y pencher sérieusement pour la prochaine fois, si je le lui rappelle un peu avant. Quatre ou cinq mois plus tard, j'y retourne, avec des taux toujours plus bas, et elle m'explique qu'elle a survolé la doc et qu'elle n'est pas convaincue. Mais elle n'a pas discuté avec le contact que je lui avais donné. Cela dit, elle doit discuter avec d'autres praticiens de l'ouest et du Canada pour voir ce qu'ils prescrivent... Soit.

J'y retourne donc cette semaine, avec un taux d'oestrogènes ridiculement bas. Elle tique sur ce taux. Elle reprend l'historique de mes analyses sanguines ainsi que ses prescriptions et s'aperçoit... que mon taux était bon, selon elle, jusqu'à ce qu'elle décide de baisser une seconde fois mon dosage. "Pourquoi je vous ai fait baisser votre dosage?" Yeux écarquillés. Parce qu'il était trop haut, c'était dangereux. Et là, elle m'explique que non, mon taux était très bon. Et elle m'explique que c'est un problème d'absorption avec les patchs. Elle me fait même un beau petit dessin pour m'expliquer qu'il y a une déperdition, que je n'aurais pas avec le gel. Ce que je savais déjà. Je lui fais remarquer que j'ai toujours eu des patchs et que selon elle, mon taux était bon jusqu'à ce qu'elle me réduise la dose de façon drastique. Elle n'en démord pas et me propose... de garder les patchs, mais d'y ajouter du gel. Double contrainte, inutile, je m'y oppose: si ça marchait bien à ses yeux avec l'ancien dosage en patchs, autant y revenir. J'ai l'impression d'être dans une autre dimension.

Dans le même temps, je lui avais expliqué que j'avais des problèmes de sommeil, un peu plus que d'habitude, mais que c'était temporaire, lié à l'arrêt total de la nicotine et évidemment au contexte sanitaire. Une courte et mince augmentation de mes anxiolytiques devrait suffire à passer le cap tranquillement. Mais non, à la place, elle me propose... de remplir des plannings de sommeil. Je lui explique que oui, je sais ce que c'est et comment ça marche, et je lui parle de ma mésaventure à l'unité des troubles du sommeil. Elle semble bien connaître la personne dont je lui parle et elle me réplique qu'elle va peut-être me proposer la même chose, mais présenté différemment. Yeux écarquillés. 

Et là dessus, elle propose de reprendre rendez-vous dans très longtemps. Quand mon souci temporaire de sommeil sera réglé, donc. 

En sortant de son cabinet, encore assommée, je me suis dit que je ne reviendrais plus. Vingt euros de train, trois heures de trajet aller-retour, une après-midi foutue, tous les trois mois pour chaque fois être déçue, repartir avec une prolongation de prescription ultra critiquée et avec des résultats négatifs... Mon généraliste qui a son cabinet à 200 mètres de chez moi est parfaitement capable de me prolonger ces prescriptions et peut-être même de creuser le sujet pour me proposer mieux. Il ne s'y connaît pas du tout en transition médicale, mais il ne doit pas être plus idiot qu'elle. 


Il est important de savoir écouter les signaux d'alertes face à un médecin. Le respecter, ne pas se croire meilleur que lui mais garder en tête qu'il peut se planter, qu'il peut même faire n'importe quoi. C'est un être humain. Et on a le droit de demander un second avis, ou d'en changer si le lien de confiance, absolument primordial, est rompu.

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