J'ai commencé les séances d'orthophonie il y a seulement quelques semaines. Dans le cadre d'une transition, la voix est primordiale parce que c'est un marqueur très fort. Il faut savoir que la puberté n'a pas une si grande influence dans la construction vocale. C'est vrai, le larynx des femmes cisgenres reste tel qu'il est tandis que celui des hommes cisgenres se modifie pour favoriser une voix plus grave. Néanmoins, on se fabrique en grande partie sa propre voix pour coller aux attentes sociales. Un homme avec une voix fluette va sans aucun doute être moqué, plus encore qu'une femme avec une voix grave. Parce que cette voix est associée au pouvoir, à la puissance, dans nos sociétés (mais vous remarquerez que ces critères fluctuent énormément d'une culture à l'autre).
Comme énormément de gens qui ne sont pas forcément transgenres, j'ai toujours détesté ma voix. M'entendre sur un enregistrement ou par "écho" au téléphone me rend vraiment très mal à l'aise. Je me souviens qu'on se moquait de moi, à la fin du collège et au début du lycée à cause de ma petite voix d'enfant. Alors j'ai cette voix, grave (100 hz), rapeuse, molle qui ne m'a plus jamais valu d'emmerdes de la part des autres. Mais qui m'insupportait, donc.
Et j'ai pleinement compris qu'elle y était beaucoup dans mes doutes, ce dimanche. Je me disais que j'aurais toujours une voix trop "masculine", ou trop caricaturale, qui ne sonnerait jamais juste. Jusqu'à ce dimanche parce qu'à la fin de mes exercices quotidiens de féminisation donnés par mon orthophoniste, alors que je lisais le début du discours de Simone Veil, comme je l'avais déjà fait des dizaines de fois, j'ai éprouvé le besoin de m'enregistrer. "Ca m'avait pas l'air mal, mais je me rends pas bien compte". J'ai écouté l'enregistrement, et je me suis pris un coup de poing dans le ventre. Je suis restée sans voix. Il y a encore quelques défauts, mais... oui, ça ressemble à ma vraie voix, celle que je travestis en permanence pour paraître virile, et qui sort par moments, de courtes secondes, quand je m'oublie. Une voix qui me semble difficile d'attribuer à un homme, même au téléphone, une voix qui sonne juste, ni trop, ni pas assez, une voix posée, maîtrisée, sans effort musculaire particulier... Une voix qui me va bien.
Je l'ai écoutée deux fois, et je ne vois pas de meilleure expression pour qualifier mon ressenti que de parler de papillons dans le ventre. C'est très bizarre. Psychologiquement, ça m'a ouvert des portes: ce que je croyais impossible est à portée de larynx, en quelques semaines. Oui, je peux être considérée comme une femme, un jour. L'une de mes principales causes de mal-être vient de se prendre un sérieux coup dans la tronche. Euphorie.
Evidemment, aujourd'hui, je n'ai pas réussi à la reproduire, mais, j'y arriverai, encore et encore, jusqu'à ce qu'elle devienne habituelle. L'avoir enregistrée va aider. C'est une base, solide, sur laquelle travailler.
En espérant que l'ablation de ma pomme d'Adam ne vienne pas me mettre des bâtons dans les roues, mais normalement ça ne devrait pas avoir suffisamment d'impact sur mon appareil phonatoire...
Et si vous voulez entendre cette modeste réussite, ce lecteur devrait faire son oeuvre.
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