Les deux derniers praticiens que j'ai rencontrés dans le cadre de ma transition se sont étonnés de mon expression de genre, plutôt masculine. Une remise en question, courtoise, de ma transidentité qui fait écho au sentiment que j'ai pu avoir pendant environ deux ans.
Moi aussi, j'ai sérieusement douté de ma transidentité, en voyant, notamment sur Internet d'autres femmes trans. Comme je n'ai aucune référence, aucun modèle à ce niveau, je me compare. Et je me trouvais, donc, pas assez dans les stéréotypes féminins: pas de maquillage, de robe, de bijoux, une attitude plutôt "masculine"... Est-ce que je souffre réellement de dysphorie de genre, si je n'éprouve pas ce besoin impérieux de coller à ces stéréotypes? Difficile à déterminer entre mes traumatismes, la dépression, les deuils...
Deux choses m'ont aidée à y voir plus clair. D'abord, ce sont les phases d'euphorie. Après un an et demi de transition, il m'arrive d'avoir des périodes plus ou moins longues où je me sens bien dans ma peau. Pendant très longtemps, j'ai détesté qu'on me prenne en photo. Pas mal de mes amis peuvent en attester: sauf très rare effet de surprise, on m'y voit toujours faire un doigt d'honneur, pour la gâcher. Comme pour dire que de toute façon, elle sera moche. Au début de ma transition, on me parlait d'en prendre un maximum, pour voir les avancées. Et je répondais que je n'y tenais pas. Aujourd'hui, je me bombarde quasi quotidiennement. Certes j'en efface encore la plupart, mais parfois, et de plus en plus souvent, je me dis "tiens! Je suis pas mal, là-dessus!". On commence même à y voir apparaître des des débuts de sourires.
Tout ça m'amène à penser qu'il y a bien une dysphorie de genre sous-jacente et... que je vais dans la bonne direction.
Le deuxième élément, c'est le livre de Julia Serano. J'ai d'ailleurs suggéré à la toubib qui me file des hormones ainsi qu'à mon psy habituel de s'y intéresser. Parce qu'elle m'a permis de comprendre ce décalage entre les autres femmes trans et moi. Justement, la plupart des médecins exigent de nous, pour avoir accès à la transition, de coller aux stéréotypes féminins, de vivre H24 dans l'expression de genre féminine pour leur prouver que nous sommes bien transgenres. Malgré les remarques évoquées plus haut, ce n'est pas mon cas. Et je pense qu'il y a, aussi, un effet d'entraînement: en se comparant aux autres, qui ont cette obligation, on peut être amenée à se sentir illégitime si on n'adopte pas ces stéréotypes. Sans compter celles qui le font simplement parce qu'elles en ont envie et qu'elles peuvent se le permettre Et il y a aussi la déformation Internet où on ne montre que ce qu'on veut montrer: peut-être que ces femmes maquillées sur leurs photos ne le sont pas dans la vie de tous les jours. Résultat: je suis un cas rare, qui peut surprendre.
Ma philosophie est pourtant simple et pragmatique: je m'adapte. Je vis dans une société transphobe, je fréquente des lieux où ça pourrait me poser souci d'être perçue comme trans, donc je trouve un compromis entre ma dysphorie et la transphobie ambiante. J'exprime ma féminité par petites doses. Une femme qui ne se maquille pas, qui porte des pantalons et des sweats, ça ne choque personne. A l'inverse pour un mec, ça reste un sujet de moqueries voire d'agressions pour beaucoup. Comme je l'ai expliqué à mon psy: je ne vais pas aller à mon boulot en monokini, surtout en plein hiver. Je choisis mes vêtements en fonction de mes goûts, de leur aspect pratique et de ma sécurité. A moins d'être suicidaire personne n'irait dans un rassemblement israélien avec un badge pro-Palestine, et inversement. C'est pourquoi je choisis une expression de genre acceptée aussi bien pour une femme que pour un homme. Et quand on m'appelle "monsieur", je me contente de cligner des yeux, sans rien laisser paraître.
Je peux me le permettre parce que j'ai 40 ans. Je me traîne ma dysphorie depuis la puberté. J'ai l'habitude, je sais la gérer. Je n'ai jamais tenté de me suicider donc elle ne représente pas un danger mortel pour moi, d'autant qu'elle est en cours d'effacement et que je le sais. Ca fait 40 ans qu'on me donne du "monsieur". Ca ne me vexe pas, je le comprends très bien. Chaque fois, je me dis qu'il y a encore du boulot avant qu'on m'identifie comme une femme, mais j'ai aussi conscience des progrès. Je suis lucide: c'est une phase et elle présente certains avantages. Parce qu'il est plus simple d'être perçue comme un mec que comme une femme, dans cette société qui est aussi patriarcale et misogyne. Comme je l'ai déjà dit et répété: je ne me vois pas imposer mon genre à autrui parce que j'estime que ce serait contre-productif, que les gens risquent de se braquer. A vrai dire, je n'y attache pas une si grande importance. Je sais qui je suis, je sais ce que je suis, je sais à quoi je ressemble. Ce ne sont que des mots, des indicateurs et comme je l'ai dit: il n'y a aucun avantage social à être perçue comme une femme. Ce n'est pas ce que je vise.
Ce que je vise, c'est de me sentir en adéquation corps et esprit avec moi-même. Et une fois cet objectif atteint, on devrait naturellement arrêter de m'appeler "monsieur". Sinon, qu'importe? Je n'aurai qu'à me dire que je suis genderfluid ou non binaire. Du moment que ma dysphorie s'envole et qu'on m'épargne la transphobie (qui a aussi furieusement tendance à faire exploser la dysphorie...), j'aurai gagné.
Bref, je me sens mieux, moins angoissée, moins en conflit. Reste à voir si l'été et l'obligation de sortir en chemisette ou t-shirt ne va pas raviver mes angoisses. Parce que ma petite poitrine, combinée avec ma pomme d'Adam, ma voix et quelques autres détails, risque de trahir ma transidentité. Cela dit, elle n'a pas bougé depuis l'été dernier, a priori, et malgré les canicules, les seuls soucis que j'ai pu avoir sont liés à l'usage oppressant des binders. J'ai quand même hâte de corriger ces quelques détails dissonants.
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