Depuis une bonne quinzaine d'années, je suis crevée en permanence. Les médicaments jouent un rôle dans cette fatigue, c'est une certitude, mais si je ne les prends pas c'est encore pire. Ces médicaments ont pour fonction d'apaiser mes angoisses, par le passé, ils traitaient également ma dépression. Depuis quelques années, je ne suis plus capable de dire si je suis dépressive ou pas; et ce pour une raison très simple: je l'ai été tellement longtemps que je ne sais plus à quoi ressemble un état "non dépressif". Je peux identifier ce que j'appelle les "pics de dépression", quand je perds le contrôle, ma lucidité, que mes angoisses explosent, que j'ai une envie persistante de crever... Mais il est possible que ce que je considère comme "mon état normal" soit en réalité un état dépressif. Parce que mon état normal, c'est cette fatigue, ce besoin de m'isoler, cette absence d'envie, d'énergie, ce qui correspond assez bien aux symptômes.
Néanmoins, je sais depuis très longtemps quelle est la grande cause de cette fatigue.
Toutes les semaines, le vendredi ou le samedi, parfois un peu plus souvent encore, je me tape une nuit blanche depuis toutes ces années. Comme je l'ai déjà sûrement expliqué, c'est en quelque sorte la nuit où je suis moi-même. Je picole pour virer les inhibitions et disons... que je me reconnecte avec mon corps, tout en "effaçant" tout ce qui est. Et évidemment, après, pour dormir... Le lendemain, je suis crevée, le surlendemain en général c'est encore pire et ça commence à aller mieux, en général, le jeudi voire... le vendredi. Et bim! on recommence.
Résultat: la fatigue engendre du stress, des tensions, de la déprime, aggravés par les excitants que je prends pour tenir le choc et ne pas rester sur mon canapé, aggravés par un boulot anxiogène à mort... ce qui a pour conséquence que je n'ai ni énergie, ni envie pour m'adonner à des activités épanouissantes, relaxantes. Et donc, le vendredi, j'ai besoin de ce seul moment de plaisir de ma semaine, de changer de peau, de me lâcher... Cercle vicieux du mal-être.
Tout le paradoxe c'est, comme je l'ai dit, que j'ai pleinement conscience depuis très longtemps de ce cercle vicieux. J'en ai longuement parlé à mon psy. Et pourtant, je n'en sors pas. J'ai failli écrire "je n'arrive pas à en sortir", mais c'est faux: c'est un choix. Aucun médicament ne peut changer ça. Il suffit simplement que je le décide. Autrement dit: je passe mon temps à me plaindre depuis des années d'un problème que j'ai engendré, dont j'ai pleinement conscience et sur lequel je peux agir sans problème. Sauf que je n'en ai pas envie.
On en revient à l'article précédent, dans lequel je parle de la technique de victimisation de ma mère, qui fait toujours le choix de la souffrance pour qu'on la plaigne, qu'on l'admire, sans avoir à produire d'efforts, juste en créant et en entretenant des situations douloureuses qui pourraient facilement se régler.
Ca me pèse de devoir le reconnaître, mais force est de constater qu'elle m'a contaminée avec son système. Plus que je ne l'aurais cru, et surtout plus que je ne l'aurais voulu.
Quand j'ai commencé ma transition médicale, je savais que les hormones allaient transformer ma libido. Aujourd'hui, j'ai plutôt l'impression qu'elle est quasi-totalement flinguée, mais... est-ce vraiment à cause des hormones? Les femmes aussi éprouvent du désir. Moi, je le fuis. Là aussi, je pense que le problème est plus d'ordre psychologique: je suis mal à l'aise avec mon apparence "hybride", "intersexe" alors hors de question qu'on me touche et je ne peux même pas m'imaginer qu'on le fasse. Sauf lors de ces insomnies, avec l'alcool et quelques artifices vestimentaires et psychologiques. Néanmoins, même dans ce cadre, je suis souvent obligée de me forcer. D'où cette prise de recul aujourd'hui. Au début de cette transition, j'avais espéré, dans mon demi-déni de ce système de fonctionnement, que les hormones feraient disparaître totalement ma libido, ce qui aurait pour conséquence de rendre inutiles, ou à tout le moins de faire perdre de l'intérêt à ces "séances hebdomadaires", ce qui me pousserait à les arrêter et ce qui m'aiderait donc à aller mieux.
Ce n'est pas exactement ce qui s'est passé, mais... nous y sommes malgré tout. Me voilà à remettre en question la pertinence de ces beuveries. L'aspect plaisir? Gênant. L'alcool? A plutôt tendance à me rendre malade. Être moi? Je le suis beaucoup plus tous les jours que je ne l'ai jamais été et ça continue à progresser en ce sens. Plus le temps passe et plus je me demande si, en plus de me foutre en l'air ce qui semble m'arranger à moitié, continuer ces "séances" présente encore un véritable intérêt. Au-delà de cette victimisation absurde.
C'est sûr, arrêter comporte un risque, celui de vivre, celui de ne plus avoir d'excuse pour bosser, voir des gens, sortir de mon canapé et même de chez moi. Aujourd'hui, tout ça m'angoisse... parce que nous sommes samedi et que je suis particulièrement crevée, ce qui sera encore le cas demain, lundi, mardi... Il faudra peut-être plusieurs semaines avant de voir la fatigue s'estomper de façon significative. Et là, peut-être que vivre m'angoissera moins, peut-être que des envies vont naître et avec elles l'énergie pour les réaliser. Ou peut-être que je vais céder à la facilité et rester dans ce système de victimisation.
A ceci près que maintenant qu'il est dévoilé, que j'en ai conscience, que je l'ai verbalisé... je ne pourrai plus me plaindre sans vergogne. Faut juste espérer que mon cerveau ne trouve pas de moyen détourné pour me ramener dans ce système, comme m'envoyer dans des situations périlleuses, des relations toxiques, me mettre en danger d'une façon ou d'une autre.
Je comprends d'autant mieux le "pavé dans la mare" de mon psy: est-ce que je ne cherche pas (par ma transition mais pas seulement) à obtenir le statut de victime qui m'a toujours été refusé?... Il faut croire que si. Maintenant, de là à dire que ma transidentité et ma transition sont des stratégies de mon inconscient pour me mettre en situation de me plaindre, il y a un pas que je ne franchirai pas. Il y a des moyens infiniment plus simples de se foutre dans la merde, et j'en sais quelque chose.
J'aurai même plutôt tendance à dire, au vu de ma progression psychologique depuis que j'ai entamé ma transition, et en particulier du présent article, que ce serait plutôt l'inverse, que c'est la partie de moi différente de ma mère qui cherche à sortir de ce système pourri.
L'idée, au départ, c'est justement de tout remettre en question, de tout foutre en l'air pour repartir sur de bonnes bases. Et ça a plutôt l'air de fonctionner.
Commentaires
Enregistrer un commentaire