Des commerçants chez qui j'ai l'habitude d'aller régulièrement depuis 3 ans m'ont spontanément appelée "madame" il y a quelques jours, après m'avoir appelée "monsieur" jusque-là. Ca a été très déstabilisant. Parce que ça avait l'air d'être une certitude pour eux, alors que moi quand je me vois dans un miroir, je n'y vois toujours pas de femme. Parce que justement, j'ai un look assez androgyne qui selon moi devrait, avec mon visage, toujours me faire identifier comme un mec. Parce que je me suis demandé si les autres clients partageaient cette certitude. Parce que... je devais passer ma commande, avec ma grosse voix (ce qui a eu pour effet de ne plus me faire genrer), sans pour autant les contredire.
J'ai ressenti une pointe d'angoisse à ce moment, alors que ça aurait plutôt dû me faire plaisir. J'étais un peu paumée. Ces quelques secondes ont bousculé mes certitudes.
Venant d'une personne au courant de ma transition, ça me semble normal, mais ça ne veut pas dire que j'ai l'apparence d'une femme à ses yeux. Venant d'un parfait inconnu, dans la pénombre, qui m'interpelle alors que je suis de dos, ou qui ne me voit que rapidement, ça ne me surprend pas: il se base sur mes cheveux et... en général se corrige très vite. Mais venant de gens que j'ai l'habitude de voir...
C'est un fait, j'ai beaucoup plus de "madame" depuis cet automne que l'année dernière à la même période. J'ai donc changé, physiquement, peut-être aussi dans l'attitude. Sans trop m'en rendre compte. J'en arrive donc à me dire qu'il ne manque pas grand chose pour me retrouver avec un "passing" correct. La voix, la pomme d'Adam, un truc ou deux sur le visage. Peut-être même moins que ça. Et je ne m'en rends absolument pas compte. J'ai toujours le sentiment d'être "un mec avec des nichons".
Et puis, il y a la question du conditionnement.
J'ai 40 ans. Toute ma vie, j'ai lutté pour ne pas "être pris pour une gonzesse", "une tarlouze" ou "un homo". J'ai été conditionnée pour m'énerver à chaque remise en cause de ma "virilité". Autrement dit, pendant plusieurs dizaines d'années, j'ai lutté pour être vue comme un homme. Rien d'étonnant à ce qu'aujourd'hui je peine à faire le chemin inverse. Il y a un conflit entre cette habitude bien ancrée et... la réalité.
Et ce conditionnement continue, vu que les gens autour de moi sont toujours les mêmes. Quand je suis à mon boulot, je me sens toujours dans l'obligation de bomber le torse, de sortir ma plus belle voix rocailleuse, tout en planquant ma poitrine. Parce que eux continuent à me donner du "monsieur", comme ils l'ont toujours fait. Et que j'ai toujours peur de... me faire "traiter de gonzesse".
C'est pour ça que d'un côté je rêve d'une baguette magique, qui me ferait gagner du temps et m'éviterait la dangereuse case chirurgie/médecine, et d'un autre côté... j'ai besoin de temps pour dépasser ces peurs et ces conflits, pour "renverser" ce conditionnement qui fait que je me vois comme "un mec avec des nichons".
Et, paradoxalement, il me semble aussi important de continuer à me sociabiliser, malgré ma parano, malgré les risques, pour multiplier ce genre d'expériences et ainsi, peut-être, changer mon regard sur moi-même.
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