Ce thème a visiblement une énorme importance chez moi et il me semble aussi très lié au vécu des personnes trans.
Mon psy habituel m'avait suggéré de relire mes anciens écrits, pour y voir les différences avec ce que je suis aujourd'hui. Et c'est vraiment très étrange, parce que j'ai effectivement l'impression de lire des textes écrits par quelqu'un d'autre. Y compris pour le début du roman toujours en cours d'écriture.
Je ne sais plus trop comment mais il y a une semaine, je me suis souvenue d'un roman écrit en 2011 intitulé Ceci n'est pas ma vie. Ca m'a semblé intéressant de m'y replonger. Et ça l'était. Dès les premières pages, j'ai compris pourquoi je l'avais oublié. Ce n'était pas pour son absence de qualités littéraires. C'était parce que j'en avais profondément honte. J'ai honte de ce que j'étais à cette période.
Le malaise que j'ai très vite ressenti et qui m'a forcée à lire en diagonale n'a fait que s'intensifier, jusqu'à la fin. J'avais voulu le relire parce que je m'étais souvenue que là aussi le personnage inspiré par moi se transformait en femme. Je me disais que ça pourrait m'éclairer sur ma transidentité. Mais cet aspect m'a vite semblé secondaire. Ce n'est qu'avec du recul que j'ai compris que tout était lié.
Le contexte dans lequel je l'ai écrit est primordial. Je m'étais faite larguer quelques mois plus tôt par la seule personne que j'avais vraiment aimée, en même temps que je signais une rupture conventionnelle après avoir dénoncé les agressions sexuelles que mon ancien directeur m'avait fait subir. J'étais dans un pic de dépression très élevé. J'avais une nouvelle compagne, alors que j'aimais toujours l'ancienne, sans pour autant vouloir me remettre avec elle. Peu de temps avant de commencer l'écriture, mon généraliste avait voulu m'envoyer en hôpital psychiatrique, jugeant que j'étais dangereuse pour moi-même, et peut-être même pour autrui. Ma copine avait déboulé dans son cabinet pour l'en dissuader, persuadée que ça ne ferait qu'empirer les choses.
Je savais que ce serait nul d'un point de vue littéraire et je m'en foutais. J'avais besoin d'expulser des choses, et je l'ai fait sous forme de fiction. Ou plutôt de ce qu'on appelle "auto-fiction".
Le narrateur était Marc Anciel, ce qui était également mon pseudo à l'époque. Et le narrateur découvrait chez son généraliste qu'il souffrait d'un dédoublement de personnalité. D'un côté, il y avait l'artiste et de l'autre un bon gars, malheureux à cause de l'artiste. Car Marc Anciel était une ordure, égocentrique, sexiste, pervers, obsédé... Et c'était mon moi de l'époque, sans filtre, sans masque. Le jeu de miroirs est vertigineux. Je vous laisse imaginer: je me présente de façon réaliste sous mon pire jour, comme une confession, comme l'expression d'un sentiment de culpabilité très fort et en même temps, je rejette tous mes vices, tous mes défauts sur un personnage, une fiction, celui de l'écrivain que j'étais, pour dédouaner l'homme. On dirait presque du Polanski, version existentialiste. Mais je vais encore beaucoup plus loin que ça: ce livre était une véritable déclaration d'amour à mon ex et un énorme mollard sur la tronche de ma copine. Cette copine aimante, bienveillante, qui s'inquiétait pour moi et que je rabaissais en permanence, que j'ai tellement fait pleurer par mon insondable connerie, mon inqualifiable cruauté. D'autant que je savais qu'elles le liraient... toutes les deux.
Imaginez encore: dans ce livre, je dis, même pas entre les lignes, que je pourrais renoncer à ma paradisiaque transformation en femme par amour pour mon ex, même si je sais au fond de moi que cet amour n'est qu'illusion. Vertigineuse connerie.
J'ai envoyé un message à ma victime, deux jours après ma relecture, pour lui exprimer ma honte de tout ce que je lui ai fait subir et pour qu'elle sache qu'en aucune façon elle ne méritait ça. Il me semble que c'était la moindre des choses. J'espère que ça a pu lui faire un peu de bien.
A ce stade, vous devez vous demander où je veux en venir. Alors passons au roman suivant.
J'en ai déjà bien parlé, je ne vais donc pas m'étaler. J'y reprends le personnage de Marc Anciel, toujours basé sur moi et... je le présente, là encore, de façon très négative. Egocentrique, déloyal, toxico, manipulateur, cynique et j'en passe, voilà le portrait que je dresse de moi-même. Cette fois, l'image négative est un peu nuancée par quelques explications: sa vie a été merdique, au sens sale, dès le départ. Dans le précédent opus, il y avait deux solutions envisagées: vivre en tant que femme dans un monde imaginaire ou l'amour. Il choisit l'amour et ça se termine très mal. Ici, Marc Anciel se sauve des ténèbres et de sa vie merdique en fusionnant avec une adolescente imaginaire. Seule solution pour qu'il ne devienne pas l'incarnation du Mal (c'est à dire du mâle), ou qu'il meure.
Dans tous les cas, de façon inconsciente puisque j'ignorais totalement le concept de transidentité à ce moment (ou je refusais de le voir), la seule solution pour sortir de l'image monstrueuse que j'ai de moi-même... c'est la femme. Comme s'il était inconcevable pour moi d'être une bonne personne épanouie dans cette identité de genre.
Reste le troisième, toujours en cours. Là aussi, c'est très bizarre, mais je me suis posé certaines questions en me relisant. Le personnage qui me ressemble le plus est un prof de français avec une légère tendance pédophile. Sachant que dans mon échelle de valeur, la pédophilie, c'est le pire de tous les crimes. Pas besoin de développer, s'il y a des pédophiles qui me lisent, je vous invite à dégager et à boire une bouteille de javel cul sec. Donc on peut dire que je me présente, encore, sous le pire des jours. En plus de ça, il s'amuse à séduire des adolescentes pour profiter d'elles avant de les jeter comme des merdes. Raison pour laquelle une sorcière décide de le punir... en le transformant en jeune femme. Dans Ceci n'est pas ma vie, cette transformation est également l'oeuvre d'une sorcière (sous les traits de ma copine de l'époque, sans commentaire) et la transformation était également une forme de punition. Une punition destinée à corriger, à purifier en quelque sorte. Là, il y a un peu un paradoxe qui dénote un conflit chez moi: d'un côté le mec machiste, qui considère que la femme est un être inférieur et que donc ce serait une malédiction d'en être une et plus encore de se faire baiser; et de l'autre... la femme. Parce que dans les deux livres, le personnage se fait très vite à cette nouvelle condition et prend beaucoup de plaisir à se faire baiser. Etrange punition...
J'en arrive donc à me demander si ce mec machiste (même si je ne l'ai jamais vraiment été...) n'est pas le résultat de mon déni. Je me demande si pendant ces deux décennies, je ne me suis pas sentie obligée de me construire ce personnage, c'est à dire de rejeter la femme que j'ai toujours été, de rejeter, de culpabiliser de tout ce qu'il pouvait y avoir de féminin en moi, pour survivre dans mon milieu. Ce qui m'a paradoxalement rendue doublement détestable à mes yeux, ce qui m'a donné cette image immonde que j'ai de moi, en tant qu'homme. Ce qui m'a amené à voir toute transformation en femme comme une horrible punition et... à tout faire pour la mériter cette punition puisque manifestement je n'attendais que ça et qu'au final, ce n'est jamais vraiment vécu comme une punition, mais plutôt comme une bénédiction, une libération.
En tout cas, ces paradoxes, ces conflits, ressortent de tous mes textes, au moins depuis 2011.
Il m'arrive, depuis peu, de rêver pouvoir revenir dans le passé. D'apparaître dans le salon parental cette nuit-là, de m'asseoir dans le second fauteuil, à côté de l'adolescent que j'étais. De lui dire de poser ce couteau, parce qu'on sait très bien tous les deux que non, il ne va pas se trancher le service trois pièces, il est bien plus intelligent que ça. Lui dire qu'il souffre de stress post-traumatique, et que ça se soigne et que pour le reste, il existe des solutions aussi, qu'il pourra, quand il le souhaitera, consulter tel docteur...
Et puis je me réveille, consciente que c'est doublement impossible. Parce que le voyage dans le temps est irréaliste. Mais aussi parce que si tout ça n'est pas arrivé plus tôt, c'est qu'il y avait des raisons. Si j'avais guéri de mon stress post-traumatique plus tôt, il serait sans doute revenu aussi sec, parce que d'une certaine façon, il m'a protégé d'un milieu hostile. Idem pour ma transidentité. Si je l'ai enfouie si profond aussi longtemps, c'est parce que j'estimais qu'elle serait dangereuse, dans mon milieu.
D'ailleurs, est-ce que je ne l'estime pas toujours dangereuse, aujourd'hui, alors que je suis adulte, indépendante, seule, avec bien plus de connaissances, d'expérience qu'à l'époque?...
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