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Je ne veux pas être LGBT

Depuis quelques mois, des abrutis répètent à l'envi qu'être homosexuel ou trans, c'est un choix. Il serait peut-être bon qu'ils lisent ceci. Même si vu leur niveau de stupidité, ça ne servirait pas à grand chose.

Je ne vais pas bien, depuis plusieurs mois, et ça ne va pas en s'arrangeant. Bien au contraire.
J'ai de très bonnes raisons de ne pas aller bien. Une excellente raison dont je ne parlerai pas ici, parce qu'elle concerne une personne que j'aime et qu'il ne m'appartient pas d'en parler. Mon boulot est hyper anxiogène et ne me permet pas de vivre décemment. De ce fait, je vis dans un quartier moisi. Ma vie sentimentale est inexistante, après avoir été longtemps chaotique, toxique, absurde. Ma vie sociale est... minimaliste.
Mais hormis la raison dont je n'ai pas parlé: tout peut s'arranger. C'est une question de choix. J'ai la possibilité d'améliorer mon existence, rien ne me l'interdit, rien ne m'en empêche. Et je compte le faire.
Mais avant ça, j'ai besoin de régler le problème de mon identité. J'ai besoin qu'elle soit un minimum fixée, pour redémarrer tout ça sur de bonnes bases, des bases solides.
Et c'est bien ça le problème.

Hier soir, j'ai pleuré. Longuement. J'ai commencé par me frapper le crâne, les cuisses, les bras, parce que je ne comprenais pas pourquoi j'avais si mal, et ça me rendait dingue. Parce que plus encore que pour les autres problèmes, j'ai parfaitement le choix. Je peux être qui je veux, je peux paraître qui je veux. Je peux "accentuer" ma transition médicale, comme je peux "détransitionner".
Alors pourquoi est-ce que j'ai si mal, moi qui suis si libre?

Les larmes sont arrivées en même temps que les mots: "je ne veux pas être LGBT et surtout T". J'ai déjà une vie de merde, comme expliqué plus haut. J'ai pas envie de me la compliquer encore plus. J'ai pas envie de me faire charcuter. J'ai pas envie de prendre ces médocs avec une liste d'effets indésirables longue comme un bras. J'ai pas envie d'être mise au ban de la société. "Je veux une vie normale!". Voilà, ce que j'ai répété, entre deux sanglots.

C'est là que j'ai repensé à ma grand-mère, qui m'a élevée. Je me suis replongée dans cette chambre d'hôpital, où je me trouvais avec une partie d'elle, l'autre ayant déjà été copieusement bouffée par la maladie d'Alzheimer. Je l'ai revue, comme en transe, s'imaginer être déjà morte, m'expliquer quel avenir elle souhaitait pour moi. Que je trouve un bon travail, que je vienne m'installer dans sa vieille maison, avec ma femme. Que mon père et mon oncle fassent des travaux pour la rénover. Pour que mes enfants puissent jouer dans l'immense jardin, comme je l'avais fait, comme mon père l'avait fait, comme ma grand-mère l'avait fait et probablement ses propres parents à elle...
J'avais versé toutes les larmes de mon corps en entendant ça. Je l'aimais. Je l'aime toujours. Et elle aussi m'aimait. Déjà à l'époque, son rêve était compromis. Aujourd'hui, il est totalement mort. La vente de sa maison a servi à payer son long séjour en maison de retraite. Vous n'imaginez pas à quel point ça m'a fendu le coeur. Encore aujourd'hui, je continue à en rêver de cette maison où j'ai passé mes plus beaux et mes pires moments. Elle a accueilli mes innombrables cauchemars, comme certains de mes rêves. Ce n'est pas que de la brique. C'est mon histoire. C'est celle de ma famille. Foutue en l'air.

Hier soir, je lui ai répété que j'étais désolée. Que j'avais totalement foiré. J'ai 40 ans et je n'ai absolument rien de ce qu'elle voulait pour moi. Rien. Et en plus, il se trouve que je suis une femme trans. Je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'elle, fervente catholique, en aurait été profondément déçue. Et décevoir cette femme... On peut me dire tout ce qu'on veut, on peut me sortir tous les discours scientifiques les plus sérieux, je ne peux pas m'y résoudre. Pour mes parents, c'est déjà difficile, mais pour elle... Non. On peut me dire qu'elle est morte, que peut-être elle aurait évolué sur ses positions, qu'elle m'aimait et qu'elle aurait continué à m'aimer quoi qu'il arrive... Cette scène, à l'hôpital, reste figée dans mon coeur, comme son image.

Hier soir, je me suis répétée que je n'étais pas destinée à tout ça, que ça n'aurait jamais dû se passer comme ça. J'ai maudit le type à l'origine de ma dissociation traumatique, blâmé mes parents de ne pas m'avoir offert un milieu suffisamment sécurisé, insulté tous les psychologues, psychiatres, généralistes que j'ai consultés pendant une vingtaine d'années pour n'avoir jamais voulu poser de mots sur ce dont je souffrais, ne jamais avoir pris la responsabilité de me dire que j'avais la possibilité de guérir, pour avoir mal traité les symptômes, sans jamais toucher aux causes.

J'étais un bon garçon, qui travaillait bien à l'école, sociable, gai, dynamique, qu'on promettait à un brillant avenir. Je suis devenue une femme trans de 40 ans à moitié refoulée, célibataire endurcie, sans enfant, cynique, isolée, triste, angoissée, sans énergie, avec un boulot qui me rapporte à peine plus que le RSA et qui vit dans un quartier sordide du nord de la France. Un peu plus tôt dans la journée, on m'avait dit que je ne méritais pas ça. Non, je ne mérite pas ça.

Et puis quoi? Il faut encore que je m'inflige cette transition médicale qui m'éloigne encore plus du rêve de ma grand-mère? De mon rêve? De notre rêve? Mutiler ce corps hérité de mes ancêtres? Qui me dit que j'irai mieux, après? Pour le moment, c'est pas du tout le cas.

J'ai une histoire. J'ai 40 ans. Et cette histoire... est au masculin. Bien sûr, elle est triste, cette histoire. Mon psy me l'a déjà demandé: "Vous y tenez tant que ça, à votre vie, en tant qu'homme?". Ben non. J'ai trop lutté contre des pulsions suicidaires pour pouvoir prétendre qu'elle va me manquer. J'ai tout foiré en tant qu'homme. Mais voilà, autour de moi, tout le monde me connaît en tant qu'homme. Je songe souvent, à disparaître, n'importe où ailleurs, pour tout reprendre à zéro, mais en tant que femme. Pas besoin de coming out. Mais c'est pas comme ça que ça marche. J'ai pas envie de disparaître. Mais j'ai tellement peur de décevoir...

Là, mon regard s'est posé sur mon ordinateur. J'ai repensé à mon bouquin, en cours d'écriture: Les Métamorphoses. La matérialisation d'une très vieille obsession. Un thème présent dans tous mes écrits, depuis l'adolescence. "Et merde! Je suis trans. J'ai beau ne pas le vouloir, c'est ce que je suis."

J'ai alors pensé à mes parents. "Ils vont être déçus..." Ou pas. Ils ne sont pas débiles. Ils savent très bien que je suis en train de changer. Ca les inquiète. Je le vois à leurs regards, à certaines questions, certaines remarques. Ils sont comme moi: ils n'osent pas aborder le sujet. Mais ça ne les empêche pas d'apprécier le temps qu'on passe ensemble. Moi, un peu moins, parce que je me sens mal à l'aise par rapport à ça. J'ai peur qu'ils remarquent ma poitrine, mon visage brûlé par le laser, la bb crème... "Je suis débile".

Si j'avais eu le choix, j'aurais continué à être un bon garçon, qui travaille bien à l'école, qui trouve un bon boulot avec ses gros diplômes, genre prof de lettres à la fac (elle aurait adoré ça, ma grand-mère, et moi aussi, c'était mon objectif et je sais que j'en avais les capacités), qui se serait marié avec une femme géniale, avec qui il aurait eu des enfants, qui se serait démerdé pour racheter la maison familiale et la retaper, qui aurait défendu les droits des LGBT, par principe. Peut-être même que j'aurais fait de la politique, dans un parti progressiste...
Malheureusement, un traumatisme est venu s'ajouter à une dysphorie de genre, jamais traités ou même pris en compte. Ce qui a rendu ce beau programme irréalisable. Très compliqué d'obtenir mieux qu'une licence avec une phobie sociale monstrueuse et une dépression carabinée, des cauchemars abominables toutes les nuits. Idem pour les relations.
Voilà ce que j'aurais fait, si j'avais eu le choix. Quoi qu'en disent les abrutis.

Et là, je me dis que ce post pourrait faire une bonne base, pour une lettre de coming out à mes parents...

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