Ce lundi, j'ai rencontré le chirurgien plastique qui devrait s'occuper de féminiser mon visage. Il s'est montré réticent, parce que je me suis présentée à lui... avec l'apparence d'un mec.
Je comprends sa logique, d'autant que j'ai manifestement une approche "atypique" à laquelle il ne doit pas être habitué: pourquoi se lancer dans des opérations chirurgicales relativement risquées et irréversibles si je n'essaie même pas de me féminiser par le maquillage et les vêtements?
Simplement parce que le maquillage et les vêtements sont des marqueurs secondaires et qu'à moins d'exceller dans le maquillage, ça ne peut masquer efficacement et en tous les cas durablement les marqueurs primaires.
En clair, les vêtements et le maquillage sont très insuffisants pour être perçu comme femme, si on a une pomme d'Adam proéminente, de la barbe, des traits masculins, une voix masculine etc Dans une société fondamentalement binaire comme la nôtre, cette combinaison entre marqueurs faibles et marqueurs forts (le physique) va amener à nous percevoir comme transgenres ou comme travestis, avec tous les clichés négatifs qui y sont encore attachés. Surtout en été où on est bien obligé d'exhiber ce physique.
Ce n'est pas ce que je souhaite, parce que ça ferait exploser ma dysphorie.
On pourrait penser, à me voir, que je ne souffre pas de dysphorie de genre, mais... est-ce que justement cet entêtement à ne pas sortir avec les vêtements qui me plaisent ne dénoterait pas l'inverse? Est-ce que justement je n'agirais pas ainsi parce que la dysphorie est déjà trop forte et que j'ai trop peur de l'aggraver, encore?
C'est difficile, pour moi, à déterminer. Toujours est-il que j'avais bien identifié, sur mon visage, les traits trop masculins et qu'ils me posaient problème depuis l'adolescence, alors même que j'ignorais totalement la notion de dysphorie de genre. Toujours est-il que je prends beaucoup de plaisir à acheter des vêtements stéréotypés féminins et que je déteste les vêtements stéréotypés masculins.
Cette première discussion, ainsi que celle avec mon psychologue, m'a amenée à réfléchir.
Déjà, parce que contrairement à ce que je pensais, il faudra bien plus qu'une opération pour féminiser mon visage. En réalité, il en faudra, peut-être, quatre. Sauf si je décide d'arrêter en cours de route. Avec des délais assez longs avant la première et de six mois entre chaque. C'est à la fois contrariant, parce que c'est long, mais surtout très rassurant, parce qu'il vaut mieux que ce soit très progressif, pour m'habituer et... pour que mon entourage s'habitue aussi.
Cela m'a aussi permis d'établir que la priorité pour le moment, c'est la barbe et la pomme d'Adam. Ce sont les deux marqueurs les plus forts. Même si pour la seconde, paradoxalement, ce n'est pas quelque chose qui se remarque facilement. On peut être perçu comme un homme, même si elle n'est pas apparente, mais... on peut très difficilement être perçu comme une femme si elle l'est. Idem pour la barbe, dans le fond. Donc ce sont deux détails ne posent aucun souci si je les supprime. Si pour X raison, je souhaite rester dans une expression masculine, ce ne sera pas gênant de ne plus les avoir. Je serai simplement plus androgyne. Et plus androgyne, c'est parfait.
Peut-être qu'à ce stade-là, je pourrai me balader dans la rue en robe et maquillée. J'en doute parce que ma barbe, il faut vraiment scruter mon visage pour trouver un poil ou deux et ma pomme d'Adam... on est en hiver, elle est généralement cachée par mon écharpe, mais qui sait?
Je n'ai donc plus qu'à attendre le rendez-vous avec l'autre chirurgien, qui peut aussi, éventuellement, s'occuper de mes cordes vocales. Il paraît que c'est risqué, mais on verra bien ce qu'il me dira. Je n'ai pas très envie d'être aphone ou de me retrouver avec la voix d'un modem 33k.
Cela m'a aussi amenée à réfléchir à propos des délais, de cette lente progression. La réflexion est encore en cours. Je crois que pendant ce temps, je vais continuer à vivre en mode "genderfluid". Je vais continuer à assumer le rôle que j'endosse depuis ma naissance, socialement, et à expérimenter dans mon intimité.
je pense de toute façon que ma transition psychologique va être lente, et relative à mon apparence physique. Je crois que je n'ai pas d'effort particulier à faire, parce que je n'ai aucune envie de faire semblant. L'idée est de devenir ce que je suis réellement, pas de jouer un rôle. J'ai été éduquée comme un mec, préparée à être un mec, on m'a inculqué ces codes, ces comportements, ces attitudes... et de toute façon, c'est un échec. Ma virilité a sans cesse été remise en cause. Donc malgré tout, j'ai la base, le reste viendra quand on me percevra comme une femme et quand je me sentirai "légitime" dans cette perception.
Si j'avais démarré il y a une vingtaine d'années, la transition psychologique aurait sans doute été plus simple, mais là... j'ai 40 ans d'injonctions à être un mec, à ne pas me comporter comme une gonzesse, à ne pas "faire ma tafiole" et évidemment il y a des aspects dans ce rôle qui me plaisent. J'ai bien plus de privilèges qu'une femme. C'est profondément ancré. C'est pénible, mais j'ai besoin de temps.
Le plus pénible, c'est qu'il risque d'être compliqué pour moi, avec ce physique "hybride", "intersexe", de trouver quelqu'un qui me plaise, qui s'en foute et qui pourrait partager ma vie. La solitude me pèse. Et avoir quelqu'un à mes côtés pour me soutenir, m'aimer, ce serait précieux. Sauf que ce serait aussi malsain. Je risquerais d'être un poids, tant que tout n'est pas réglé dans ma tête et dans mon corps.
Oui, ça, c'est pénible. Très pénible.
J'aurais aussi des choses à dire sur ma perception de moi-même, extrêmement négative, et sur ma vision de ma transidentité, qui transparaissent dans mes fictions de façon obsessionnelle. Mais ça, ce sera pour une prochaine fois.
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