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Des Ruines et des esclaves

Mon psychologue historique m'avait suggéré, avec insistance, de relire mon précédent bouquin pour m'aider à me comprendre moi-même. Il avait raison. Je l'avais déjà évoqué, mais il me semble important de développer un peu plus sur l'aspect transidentité.
Ce qui a constitué un déclic chez moi, ça a été la rédaction du livre en cours: Les Métamorphoses. Il s'agit, pour résumer de l'histoire d'une sorcière (féministe) qui transforme les ordures masculinistes en chiens, porcs ou... jeunes femmes, histoire de leur donner une leçon (entre autres) ou simplement de les punir, pour les animaux. Le lien avec la transidentité est évident: ce thème de la transformation d'un homme en femme se retrouve dans une bonne partie de mes écrits, depuis le début des années 2000.
Mais le précédent témoigne tout autant d'un cheminement psychologique qui ne pouvait que m'amener à ma transition.

Je l'ai intitulé Des Ruines et des esclaves. J'aurais aussi bien pu l'intituler "Dysphorie". Dans le résumé que j'ai rédigé pour mes potentiels lecteurs, la première phrase me semble parfaite et limite suffisante pour expliciter tout le livre: "Marc Anciel a vu le jour dans une fosse septique, et, depuis, ça ne s'est jamais vraiment arrangé...".
D'un point de vue marketing, on a connu mieux. On ne va pas se mentir: ça ne donne pas franchement envie de se plonger dans sa lecture. Même si je suis assez fière de sa formulation.
Et c'est l'un des deux défauts principaux de ce livre (le second, on s'en fout, c'est pas le sujet: il s'agit de la structure): c'est (à mon sens) bien écrit, bien formulé mais... qui aurait envie de passer des heures dans une déprime pareille?

Néanmoins, d'un point de vue psychologique, il y a beaucoup à en dire.
Déjà, le nom du personnage. Il s'agit de... mon ancien pseudonyme, sous lequel j'ai publié une pièce de théâtre (Différent, comme tout le monde, pour les plus curieux) jouée dans ma région et au Maroc (on s'en fout aussi, mais j'ai mon petit ego à caresser). Jusqu'à assez récemment, je n'avais pas percuté que j'avais repris le symbole LGBT. Dans mon esprit, c'était une référence à Rimbaud (Rimbaud = Rainbow, c'est lui qui avait déjà utilisé l'analogie dans ses oeuvres: le pont céleste qu'est la littérature et en particulier la poésie. Je vous laisse chercher si le sujet vous intéresse). Finalement, j'ai abandonné ce pseudo, parce que je trouvais que le jeu de mots manquait un peu de sérieux (désolée Arthur...), mais je trouvais intéressant de l'exploiter de le/me transformer en personnage: confusion entre la réalité et la fiction, l'esprit et la matière, jeu de miroir...
De ce fait, le personnage de Marc Anciel est en quelque sorte une vision "fantasmée", romancée, bidouillée de moi-même. Ce n'est pas moi, mais ce n'est pas si loin que ça de ma réalité.

Pour le reste, il faut savoir qu'au moment où j'ai écrit ce bouquin, j'allais plutôt pas mal. Je n'étais pas dans un pic de dépression, d'angoisses, j'avais même arrêté sans problème les antidépresseurs. Et pourtant, cette existence que je décris est d'une noirceur terrible. L'histoire commence dans le cabinet d'une psychologue que mon personnage consulte parce qu'il sent qu'il est en train de perdre la boule. Il est sujet à des cauchemars terrifiants qui le hantent chaque nuit, il perd du poids, broie du noir... Dysphorie totale. Et tout le récit n'est qu'échec, violences, trahisons, misère, précarité, souffrance, drogue, décès, alcool...
Vous allez me dire "Ok! Dysphorie, pas de problème! Mais le genre dans tout ça? On peut être dysphorique pour plein de raisons!" En effet. Mais déjà, vous noterez que cette dysphorie... débute dès sa naissance, dans une fosse septique. Il est né sous de très mauvais auspices, ce garçon. Comme, il me semble, la plupart des personnes trans, avec la mauvaise assignation à la naissance.

D'accord, c'est un peu léger, mais je suis loin d'avoir fini.
Parce que le plus important, c'est que dans ce récit, il y a une lumière, une lueur d'espoir. Et elle est incarnée par un personnage: Calliope. Il s'agit d'une muse, une adolescente, solaire, espiègle, boudeuse que seul Marc peut voir et entendre. C'est en grande partie à cause d'elle qu'il pense être fou. Qu'est-ce qu'elle fabrique dans sa tête? Pourtant, c'est elle qui chasse "les ténèbres", qui détruit ses cauchemars, qui l'aide à se sentir mieux. Dès qu'elle disparaît, "les ténèbres" reviennent aussi sec, avec leurs angoisses, la dysphorie. Elle donne un sens à sa vie, l'amène à tout quitter, tout plaquer, à abandonner les ruines et les esclaves. A la fin, elle l'amène à se débarrasser de ses vêtements (marqueurs sociaux, d'un loser en l'occurrence, et... de genre) pour se foutre à poil et fusionner de façon symbolique avec elle. Elle l'amène à se transformer.

Bien sûr, ça ne se finit pas bien: il se retrouve clochard, seul et avec plein de regrets. Mais l'histoire n'est pas terminée: il doit encore cheminer pour achever sa transformation, dans la douleur. Ce qui doit être l'objet d'une suite. Sauf que n'étant pas satisfaite de cet opus, faudra d'abord que je le remanie. Mais ça, c'est toujours un autre sujet.

Donc à bien y regarder: tout est là. Mon inconscient avait déjà rassemblé tous les éléments pour les mettre en forme dans un texte à double lecture. Auquel a logiquement succédé Les Métamorphoses. Et ma transition.
L'adolescence, synonyme de puberté, la fille qui me hante depuis, justement, la puberté, qui m'a longtemps fait croire que j'étais cinglée, que je souffrais d'une sorte de dédoublement de personnalité, que j'essayais de chasser, d'exorciser, de noyer, d'intoxiquer, le mal-être, le sentiment de malédiction, que je n'arrivais pas à comprendre, l'échec total dans ce rôle assigné à ma naissance, malgré tous mes efforts, la religion, le mysticisme vers lesquels on se tourne quand on ne trouve pas d'explication rationnelle, ou quand l'explication rationnelle ne nous convient pas, la religion, toujours, qui rejette les personnes transgenres et LGBT au sens large (suivant les interprétations les plus pourries mais faudra que j'en parle un jour, des religions...), le "travestisme" (oui, j'en parle aussi, mais je l'attribue à un autre personnage parce que j'en avais tellement honte que je ne pouvais pas l'associer directement à Marc Anciel de peur que mes proches, en me lisant, se posent des questions....) et au final l'envie de crever... pour mieux renaître. Elle était super longue, cette phrase, non? Je suis passée de Rimbaud à Proust, là. J'espère que vous n'attendiez pas le point pour reprendre votre respiration.

Je me dis, en écrivant ces lignes, que j'ai même foiré ce bouquin, en tant que mec. Alors que pour Les Métamorphoses... On reste dans le ténébreux, mais avec de vraies pointes d'humour, et une maîtrise bien plus grande. Un livre qui s'annonce donc beaucoup plus fun et nettement meilleur.

Aurais-je "level up" en tant qu'écrivain? Et en tant que personne?

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