Hier, j'ai revu ma toubib habituelle, avec qui j'ai échangé sur mon rendez-vous prochain avec un chirurgien qui aura pour mission de féminiser mon visage. Elle semblait un peu réticente à cette idée, et je la comprends. La chirurgie, tant qu'on peut l'éviter, on l'évite. Elle m'a donc suggéré d'améliorer mon passing par les vêtements et le maquillage.
Bonne suggestion, mais pas pour moi.
Je lui ai expliqué, que déjà, je n'ai jamais vécu dans la culture du maquillage. Ma soeur, ma mère, mes grands-mères n'en portent pas. Ado, je piquais les fringues de ma mère, la nuit, mais pas son maquillage. Elle doit en avoir, mais je ne sais pas où elle le planque. Idem pour mes ex: elles n'en mettaient pas ou très peu, à une ou deux brèves exceptions près. Je ne suis donc pas fan.
En conséquence, je lui ai dit que ça me donnerait l'impression de me masquer. Et un masque, ça glisse, ça tombe. Oui, je pourrais mettre un foulard pour cacher ma pomme d'Adam, mais en été? Par 40°? Du maquillage pour masquer mes traits féminins? Ca coule, ça s'efface et il faut une certaine maîtrise. Et puis, on ne peut pas en porter 24/7. Il y a fatalement un moment où on se retrouve confrontée à ce qu'il y a dessous, ou les autres y sont confrontés. Sans compter les petits "malins" qui ne manqueront pas de lancer "hé! C'est un mec en fait!". Et là, je n'ose imaginer la crise de dysphorie sans trembler.
Et là, j'ai eu tout un tas d'images dans la tête qui m'ont confortée dans ma négation. Et un mot: "ridicule".
Le Père Noël est une ordure et le personnage joué par Christian Clavier. Katia, de mémoire. Une comédie, conçue pour faire rire, avec des personnages ridicules. Celui-là particulièrement. C'est un poncif du genre, sans subtilité: le travesti ou le transgenre fait rire. Il n'a même pas besoin de parler, son apparence suffit. Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai vu ce film, où j'ai ri, seule, avec ma famille, avec des amis. Enorme succès populaire, intouchable, inusable qui repasse au moins une fois par an.
Le Pari avec plusieurs personnages travestis ou transgenres. Idem, on utilise ce vieux ressort comique. C'est rigolo de mettre ce genre de personnage où malgré tous ses efforts, on voit bien que c'est un mec ha ha ha. Qu'est-ce qu'on se marre. Un de mes films comiques préférés.
Wasabi. J'ai beaucoup ri devant ce film. Avec sa première scène de braquage de banque, où Jean Reno se fait plaisir à ridiculiser (encore plus) des braqueuses travesties ou transgenres. Aucun autre intérêt à mettre en scène ces personnages que ha ha ha c'est tellement ridicule!
Les Ailes de l'enfer. Toujours un gros succès. J'ai adoré ce film, aussi. Qui met en scène un criminel manifestement transgenre. On a la totale, cette fois. Comme toujours, son seul intérêt est d'ajouter une note comique par le ridicule de son attitude. Tellement ridicule que sa spectaculaire évasion se termine par une claque assénée par Nicolas Cage, incarnation de la virilité bienveillante, l'homme protecteur.
Vous le voyez, le conflit? Il s'agit de culture ultra populaire. Des films qu'on a vus plusieurs fois, qui sont chaque fois appréciés par des millions de téléspectateurs. Des films cultes, qu'on ne peut pas critiquer. Et j'en ai oublié des tas d'autres, dans le même genre.
Des films dans lesquels, sans vouloir l'admettre jusque-là, je me suis moquée de moi-même, je me suis trouvée, comme mes proches, comme des millions de personnes lambdas, totalement ridicule. Cracher sur ces films, c'est cracher sur des monstres sacrés, c'est cracher sur mes proches, c'est cracher sur moi-même. Sur le plaisir qu'on a collectivement pris à se moquer de personnages qui pourraient me ressembler. Parce que oui, si je me parais de façon plus féminine, j'aurais la sensation de ressembler à ces personnages conçus pour faire rire.
Et aussi de ressembler à Julia, qui s'est pris une claque à Paris après qu'un abruti lui a lancé "hey mais c'est un mec!" ou à "Aggressivly trans", qui vient également d'être agressée, pour les mêmes raisons. Alors que leur "passing" est infiniment meilleur, parce que ce sont des femmes, pas des acteurs grimés de façon outrancière. En les voyant, je me disais "Si seulement je pouvais être aussi féminines". Et PAF! Transphobie intégrée.
Déjà qu'on en est au 106ème féminicide en France. C'est hautement plus dangereux d'être une femme dans ce pays, qu'un mec blanc a priori hétéro. Mais si en plus on y accole le qualificatif "trans"... Manquerait plus que j'ai des origines africaines.
Oui, la chrysalide de mec blanc hétéro est ultra protectrice. Et je ressens ce besoin de protection, pour le moment. D'autant que je suis seule l'écrasante majorité du temps, donc une cible ultra facile. Mais avec la féminisation du visage je me dis qu'on ne devrait pas pouvoir "me démasquer", "m'accuser" d'être un homme déguisé en femme. Dans le pire des cas, il y aura un doute. Et là, je ne percevrais plus le maquillage comme un "masque". J'espère pouvoir me sentir, au moins en partie, "libérée" et pouvoir, progressivement, laisser libre court au papillon que... je "masque".
Mais j'ai aussi une trouille bleue que ça foire, que le résultat soit pire, qu'un nerf soit sectionné, qu'on voie la chirurgie... Le visage, c'est ce que tout le monde voit, c'est ce qui constitue en très grande partie notre identité, et pas que de genre. Conflit, conflit, conflit...
Je ressens la même chose et, pour moi, la chirurgie est indispensable si je veux me sentir à l'aise au quotidien...
RépondreSupprimerOn me dit aussi souvent que je pourrais faire ci ou ça pour "paraître" mais c'est "être" qui sécurise (d'un point de vue tout à fait personnel) !
Oui, c'est exactement ça. Paraître ne m'intéresse pas du tout. Après chacun son ressenti, évidemment.
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