La seule fois où j'avais rencontré ce psychologue, j'en étais ressortie assommée puis je m'étais effondrée en larmes une fois chez moi. J'étais allée le voir pour déclencher la procédure devant aboutir à une vaginoplastie, et en conclusion, il m'avait dit qu'il ne pouvait se prononcer sur une éventuelle dysphorie de genre, que je devais d'abord faire un grand coup de ménage dans ma tête et soigner mon stress post traumatique. Ce qui risquait de prendre de longues années.
Ainsi, il avait aidé à rebrancher un premier câble dans mon crâne: j'ai pris conscience de la gravité de l'agression que j'avais subie, et de ses lourdes conséquences. Ce qui explique en grande partie mes pleurs. Une souffrance salvatrice, en quelque sorte.
Je ne vais pas revenir sur la réaction en chaîne qui a suivi, je me suis déjà longuement épanchée sur le sujet, mais forcément ça donne une idée de mon état d'esprit, hier, quand j'y suis retournée. J'étais tendue. Bien moins que la fois précédente parce que je savais le chemin que j'avais déjà parcouru entre-temps, mais tendue quand même.
Je suis donc revenue sur cette réaction en chaîne, et j'ai vu son visage s'éclairer au fur et à mesure de l'entretien.
Il m'a très vite fait remarquer que mon discours était bien "plus animé" que la fois précédente, ce qui signifie que je suis reconnectée avec mes émotions, et qu'elles s'expriment sur mon visage, dans ma voix et mon attitude.
Il a noté que j'ai encore des défenses, des techniques d'évitement, ce qui est la moindre des choses, mais j'en suis pleinement consciente, ce qui fait qu'elles devraient bouger assez rapidement. Il a sorti une petite affiche sur laquelle était indiqué "Les 'oui, mais' sont interdits". Et... il a dû la pointer du doigt à plusieurs reprises lors de l'entretien, pour me montrer chaque fois qu'une de ces défenses apparaissait. Il y a encore du boulot.
Mais il m'a également dit que je suis une "grande travailleuse", ce qui m'a fait tiquer, forcément, avec ma léthargie chronique. Mais il ne parlait pas de travail rémunéré ou bénévole, mais de travail au sens large: mon cerveau se repose rarement. Ce qui doit avoir un petit lien avec ma léthargie, et... ce qui fait que j'ai pu progresser aussi vite et aussi bien. Il m'a suggéré de ne pas aller trop vite non plus, histoire que je ne me casse pas la gueule.
Ce qui était mon intention, de toute façon. L'essentiel est fait. Je sais que je souffre d'une transphobie intégrée et carabinée, mais qu'on peut travailler là-dessus, d'une dysphorie tout aussi carabinée, mais que c'est en cours de résolution et en parallèle, mon mode de fonctionnement a totalement changé, avec des émotions qui s'expriment. Et il faut que je m'habitue à ça, en douceur. Je pense que de toute façon, ça va se faire naturellement, en me confrontant à la société, à moi-même, à la réalité au sens large. Et là, je suis totalement épuisée, ce qui est bien normal donc je fais une pause.
A vrai dire, je n'arrive même plus à avancer sur mon bouquin alors que j'ai très largement le temps et que bien souvent (comme aujourd'hui), je m'ennuie très fort.
Ce qui lui fait dire qu'il est "impressionné" par mes progrès. Ce n'est pas la même personne qu'il a eue face à lui.
Je lui ai expliqué que ma pomme d'Adam et mon visage posent problème, que je ne les supportais déjà pas, mais qu'en plus avec mon début de poitrine, ça engendre des angoisses terribles quand je dois sortir de chez moi. Il m'a répondu qu'il allait contacter les deux services concernés, à mon heureuse surprise. J'y comptais, j'y croyais, mais je m'attendais, peut-être, à devoir batailler, un peu, pour arriver à ce résultat.
En mars, il doutait très fort de ma dysphorie, aujourd'hui, elle lui semble évidente. Au point qu'il m'a aussi demandé si je voulais démarrer les démarches administratives pour changer mes papiers... J'ai décliné, pour le moment. J'espère que dans quelques mois, ce sera pertinent mais pour le moment, personne ne doute que je suis un monsieur parmi les gens que je peux croiser. Et même ceux qui savent continuent à utiliser mon deadname, qui est donc toujours bien vivant. D'où l'importance de cette chirurgie du visage...
Je suis sortie de là avec la banane. Parce que je vais pouvoir avancer dans la bonne direction. Mais surtout parce qu'un professionnel, une autorité qui rencontre quantité de personnes comme moi, qui les accompagne, me reconnaît comme transgenre, reconnaît ma souffrance et valide, en quelque sorte, mon parcours, ma progression. Parce que j'ai réalisé en quelques mois un travail qui aurait pu prendre des années. Parce qu'aujourd'hui, je suis épuisée, rincée, au bout de ma vie, mais j'ai réussi à foutre en l'air ce qui me pourrissait depuis plus de 20 ans. Parce que j'ai toujours des problèmes, des angoisses, mais que désormais j'ai surtout des solutions. Je sais où je suis, pourquoi et comment je suis arrivée là, où je vais et comment je vais y aller.
Ce qui, pour celles et ceux qui suivent ce blog, n'était franchement pas gagné il y a encore quelques semaines de ça.
Ha et j'ai cité du Kennedy et du Batman pendant l'entretien aussi. "Pourquoi tombons-nous, maître Bruce?"
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