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L'été, saison de la dysphorie

C'est mon deuxième été depuis le début de ma transition et ce n'est clairement pas la saison dans laquelle je me sens la plus à l'aise. Parce qu'avec la chaleur, difficile de ne pas se dévoiler. Quand a un corps explicitement masculin ou féminin, pas de souci, mais quand on est entre les deux... il faut choisir, ou risquer des remarques blessantes, voire pire.

Et cette situation engendre de nombreuses crises de dysphorie. Concrètement, j'ai peur qu'on remarque ma poitrine en public, et quand je suis chez moi, je suis confrontée à un corps qui me rend toujours malade. Principalement à cause de mon visage.

Mais... chaque crise de dysphorie représente une occasion de me remettre en question.

Tout à l'heure, c'était le cas. Parce que j'ai eu le tort de me comparer à d'autres femmes trans en me disant "Non mais non, hors de question que je ressemble à ça!". De ce fait, j'ai tout remis en question, envisagé sérieusement de détransitionner. Je me disais que ce serait plus simple et acceptable. Après tout, j'ai vécu dans ce corps pendant 38 ans et j'y ai aussi trouvé du plaisir, peut-être même des petits moments de bonheur. Plus besoin de me cacher des parties de corps, de me faire opérer, de risquer l'isolement, je pourrais mener une vie normale, simple.

Et là je me suis souvenu de la question qui revient sans arrêt dans la bouche de mon psy: "Pourquoi voulez-vous devenir une femme?"

Question absurde pour une femme trans. Ma réponse est systématiquement la même: Je n'ai aucune envie d'être une femme, et encore moins une femme trans, mais c'est ce que je suis et je dois composer avec ça.

Alors j'ai reformulé la question pour la rendre pertinente: "Pourquoi ai-je entamé cette transition? Quel est le but? L'objectif?

Parce que, depuis la puberté, je ne supporte pas mon apparence. Je souffre d'une sorte de dysmorphie, mais manifestement liée à mon genre. Autrement dit: je souffre de dysphorie de genre, principalement liée à mon apparence physique. Sans véritable lien avec une quelconque reconnaissance sociale. Je m'en fiche toujours qu'on me genre au masculin. C'est confortable, comme une armure, on m'emmerde beaucoup moins que si j'étais identifiée comme une femme, sans même parler d'une femme trans.

Avant, je ne me regardais que très très peu dans un miroir, je ne soignais pas mon apparence, je me négligeais, même. Quand j'achetais des fringues, c'était par obligation ultime, à l'arrache, je prenais ce que j'avais sous la main et souvent c'était même pas à ma taille et je m'en foutais.

Aujourd'hui, même si beaucoup de choses me rendent toujours malade, c'est l'inverse. Au point que je suis obligée de me poser des barrières, niveau fringues, pour ne pas me retrouver en interdit bancaire, en me disant que mon corps n'est toujours pas adapté pour que je sorte avec les fringues qui me plaisent.

Il y a la dimension sexuelle, aussi, mais en secondaire également, même si c'est un peu ce qui m'a permis de comprendre. Sauf que le sexe, c'est pas H24, c'est loin d'être aussi fréquent que le boulot (malheureusement) et la vie en société en général. Et puis, il y a toujours moyen de composer, être homme ou femme, dans son corps ou dans sa tête, ça n'a pas grande importance, pour l'orientation et les pratiques.

Voilà pourquoi il est absurde et dangereux pour moi de me comparer à d'autres femmes trans. Je les admire, ces femmes qui mettent les vêtements qui leur plaisent et du maquillage pour être reconnues socialement en tant que femmes. D'autant plus celles qui donnent de la visibilité aux femmes trans, en s'incorporant dans le paysage, en normalisant ce qui devrait déjà être la norme, quitte à être identifiées comme des femmes trans, avec tous les graves inconvénients qui peuvent s'ensuivre.

Mais ce n'est pas moi. Ce n'est pas ma voie. D'où dysphorie puisque je ne me sens pas trans, ni cis, et que je regarde un résultat (généralement temporaire) qui ne me concerne pas.

Ce que je suis, c'est une femme trans invisible, sécurisée par un rôle masculin auquel je suis habituée, dans lequel j'ai mes repères, comme mon entourage. Un rôle masculin dont je vais me détacher progressivement, parce que ma morphologie et mon environnement l'exigent, et aussi parce que la déconstruction ne peut qu'être longue, après toutes ces années dans ce rôle.

J'aimerais que ça aille plus vite, parce que la solitude, sentimentale surtout, me pèse, parce que mon binder m'étouffe, parce que tout ça me frustre, mais je n'ai pas le choix.

Je vais aussi m'éloigner de mon profil Twitter trans. Ce qui m'évitera de me comparer, de voir à longueur de journée des agressions sexistes, transphobes, homophobes, tout un tas de choses qui n'arrangent VRAIMENT rien. Même si j'y côtoie, aussi, des personnes formidables qui me conseillent et m'encouragent.

Je DOIS me reconnecter avec MA réalité. Et suivre MA voie.

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