Après avoir lu mon dernier article, vous avez dû vous dire "Ok, fin du game, iel va détransitionner, arrêter de prendre ses hormones et retourner à sa vie d'avant." C'était ma conclusion. C'était ce que je comptais faire. Parce que ça me semblait logique, rationnel, raisonnable.
Et pourtant, j'ai continué à prendre mes hormones, comme s'il ne s'était rien passé. Ce qui semble totalement illogique, irrationnel, déraisonnable. Ou pas.
Pour comprendre, il faut se souvenir que j'ai souffert, et que je souffre peut-être encore, de syndrome de stress post traumatique. A cause de ça, mes émotions passaient leur temps à me trahir. D'autant qu'avec ma transidentité et mon côté artiste (peut-être une façon plus "acceptable" de nommer ma féminité, allez savoir...), ces émotions ne correspondaient pas DU TOUT à ce que la société et mon entourage attendaient de moi, surtout en ignorant ce que j'avais vécu. Je me suis donc adaptée: j'ai musclé ma raison, ma logique, mon pragmatisme, pour survivre. Pendant au moins une vingtaine d'années, ma raison a régné sur tout le reste. Par des raisonnements logiques, j'ai canalisé mes émotions, mes sentiments. Je passais, et je passe toujours, ma vie à me raisonner, à chercher des techniques pour me calmer, m'apaiser, me contenir etc etc Par exemple, quand j'étais en souffrance, je prenais un petit cahier, un stylo et je posais le problème sur papier, afin de prendre du recul et de trouver des solutions rationnelles, logiques. C'est vraiment très efficace.
Sauf qu'un être humain ne fonctionne pas comme ça. Certains sont entièrement soumis à leurs émotions, sont totalement intolérants à la frustration et se comportent donc comme des animaux. C'est l'extrême inverse, qui n'est pas meilleur que mon exemple. Parce que le résultat, c'est que ma vie est terne, médiocre. Je suis toujours dans la retenue, pour tout, et le compromis. Ca évite les excès de douleur, mais aussi les excès de joie, de plaisir. Et tout ce qui n'est pas excessif. Ca évite tout, au final. Est-ce que ma vie vaut beaucoup mieux que celle d'une carotte? Je me suis souvent posé la question. Mais voilà, j'avais le contrôle et je me disais que ça valait bien mieux que ce que j'avais pu vivre pendant de nombreuses années. Ca valait mieux que l'hôpital psychiatrique. Voilà pourquoi ce système perdure: la peur de me retrouver avec des crises de panique, d'angoisse et des pulsions suicidaires.
Et puis... il y a ma transidentité. Depuis la puberté, ma raison ne cesse de me hurler "Mais p****n! Arrête! T'es un mec! Tout le monde voit un mec! Y compris toi, dans ton miroir! Tous tes papiers sont au masculin! C'est ridicule, absurde et dangereux, tes c*****ies! Tu crois vraiment que tu es comme tous ces travelos ou ces trans dans les films ou dans les vannes de tes potes? Tu veux finir au bois de Boulogne? Dans Jacquie et Michel? Tu veux être la risée du monde? Perdre ta famille? Tes amis? Ton boulot? C'est vraiment ça que tu veux?".
Depuis la puberté, j'applique ma méthode: j'essaie de comprendre, pour pouvoir contrôler par la raison et ainsi détruire ce "truc" qui me pourrit la vie. C'est en partie pour "guérir" de ça que j'ai consulté quantité de psys.
C'est manifestement un échec. Non, je ne suis pas possédée, j'ai fait le tour de la question. Non, je ne souffre pas d'un dédoublement de personnalité, ça a été attesté mainte fois par des spécialistes. Non, ce n'est pas mon agression qui m'a rendue transgenre, ce n'est pas si simple, ce n'est pas comme ça que ça fonctionne.
Et surtout, non, je ne peux pas "guérir" de ça, vu que ce n'est pas une maladie, pas plus que l'homosexualité. C'est ce que je suis. Il n'y a pas d'explication, pas de raison, pas de logique. C'est au-delà de toute raison. Et surtout, c'est bien plus fort. Voilà pourquoi je n'ai pas arrêté de prendre mes hormones.
Effectivement, c'est pas de bol d'être trans dans une société aussi transphobe. Une société dont la transphobie m'a imprégnée jusqu'au plus profond de moi-même. Et c'est ça qui est grave et qui est à l'origine de ces "doutes", de ces angoisses: cette transphobie que j'ai intégrée et qui fait que je me rejette moi-même, cette transphobie que je projette sur absolument tout le monde. Comment l'autre pourrait m'accepter si moi-même je me déteste pour ce que je suis? Et comment je pourrais donner tort aux vrais transphobes si ma raison passe son temps à me hurler qu'ils ont raison?
Bien sûr, ce conflit trouve son paroxysme alors que je suis à la moitié du chemin, et en pleine canicule. C'est logique.
Comment on en sort? C'est simple. Je ne peux pas guérir de ma transidentité, je ne peux pas m'en débarrasser. Donc la détransition ne ferait qu'aggraver le conflit, sans aucune chance de le régler. Par contre, la transphobie... ça peut disparaître. Et ça peut disparaître par la raison, la logique. Paradoxal? Sans doute. N'empêche que depuis que je suis arrivée à ce raisonnement, ça va un peu mieux. Il suffit de se dire qu'il n'existe pas qu'un seul chemin qui soit raisonnable, rationnel, logique. J'en ai essayé un, je suis allée tout au bout du bout et c'était une impasse. Mais il fallait que j'aille au bout de ce chemin pour savoir que c'était une impasse. Il fallait que j'essaie de toutes mes forces d'éradiquer ma transidentité pour être sûre que c'était impossible. Ca peut paraître stupide, mais ça ne l'est pas. Parce que l'autre chemin est effectivement tortueux, dangereux. C'était donc parfaitement raisonnable.
Si j'avais eu un autre vécu, évolué dans un autre milieu ou une autre société, oui, là ça aurait pu être stupide. Mais ce n'est pas le cas.
D'ailleurs, je me pose souvent une question: est-ce que, si je vivais dans un monde sans aucune transphobie, où la transidentité serait perçue comme parfaitement normale, j'éprouverais le besoin de transitionner? Et si oui jusqu'où? Autrement dit: est-ce que ce n'est pas la transphobie, fondamentalement, qui nous impose ce besoin de passing? Transphobes/transgenres, les deux faces d'une même pièce? Est-ce que l'un peut exister sans l'autre? Je n'ai pas et je n'aurai probablement jamais la réponse à cette question.
Commentaires
Enregistrer un commentaire