J'ai changé de médecin pour chapeauter ma transition. Le précédent a pris une retraite bien méritée. Il a donc fallu tout reprendre à zéro, et c'est pas plus mal. Elle m'a donc posé beaucoup de questions et, à la fin, soumis... un sujet de dissertation: "Quelle femme je suis...". Le but étant de connaître mes attentes, de savoir dans quelle direction je compte aller pour m'accompagner au mieux.
Je vais profiter de cette question ô combien ouverte pour dresser un nouveau bilan.
D'abord, où j'en suis?
J'aurais envie de répondre: toujours au même point, mais ce n'est pas tout à fait juste.
Je continue à cacher ma féminité, à l'extérieur, même auprès de gens qui savent. Pourquoi? Parce que je me sens en sécurité sous une apparence masculine, déjà. Personne ne m'emmerde, personne ne me fait de remarque déplacée, personne ne m'insulte... Je me fonds dans la masse. Aucune raison de m'emmerder. Ce qui ne serait pas le cas, à tous les coups, si j'osais une robe ou du maquillage. Ou si je modifiais mon attitude, ma voix...
Deuxième raison: c'est confortable. C'est paradoxal, ça entre en contradiction avec la dysphorie, mais c'est un fait: ce rôle masculin, je le connais, je le pratique depuis toujours, comme tout mon entourage. J'y ai tous mes repères. Donc, c'est, là encore, sécurisant.
Troisième raison: la dysphorie. Je ne crois pas une seconde en mon passing. Il m'arrive, avec la bonne lumière et le bon angle de voir une femme dans mon miroir ou en photo. Mais ça ne dure que quelques secondes avant un "boarf" lâché dans un soupir de dépit. A partir de là, je ne vois pas comment les autres pourraient y voir autre chose qu'un homme déguisé en femme, avec tous les inconvénients et risques rattachés à cette situation.
Donc au final, je porte des fringues masculines/neutres parce que j'estime qu'aujourd'hui, il n'y a que ça pour m'aller, pour ne pas me sentir ridicule. Et donc pour me sentir en sécurité et la plus à l'aise possible. Est-ce que ça me satisfait? Bien sûr que non.
On en vient donc à la question de l'avenir. Quelle femme j'aspire à être.
Forcément, la première réponse qui me vient est Scarlett Johansson. Ce qui est totalement impossible. Et pas forcément souhaitable. La deuxième réponse est pragmatique: la question est absurde, je vais simplement m'adapter progressivement, et changer d'avis et de look des dizaines de fois. Avec ça, nous voilà bien avancés.
Néanmoins, je pense qu'il est possible d'avancer une réponse réaliste et nuancée, qui trace un chemin plutôt qu'un état.
Quand je pense à la femme que je pourrais être, évidemment, je vois les femmes de ma famille. Ca, c'est réaliste et concret. Ma mère, qui n'a jamais été très féminine: pas de maquillage, de robe, d'attitude marquée. Ma grand-mère, qui a de son côté toujours été pragmatique: l'esthétique, on s'en fout, une robe parce que c'est comme ça qu'on lui a appris, évidemment pas de maquillage, de bijoux, des vêtements chauds pour l'hiver et légers (mais couvrants) pour l'été. Et puis il y a ma petite soeur. Assez masculine, avec une voix pas si éloignée de la mienne, un peu plus féminine quand même que notre mère. Physiquement, hormis la taille et les cheveux, tout le monde nous dit qu'on se ressemble comme deux gouttes d'eau, malgré les 10 ans d'écart.
En voilà une référence qu'elle est bonne.
Donc oui, c'est vers cet excellent modèle que je compte me diriger, dans un premier temps, du moins. Ce sera la base sur laquelle je viendrai ajouter ou modifier quelques éléments, en fonction de mon évolution, de mon histoire personnelle, de ma personnalité.
Parce que dans mon esprit, il y a d'autres modèles, plus réalistes que La Veuve noire ou d'autres stars (photoshopées, maquillées, grimées par des experts): des femmes que j'ai rencontré. Notamment des ex. Parce que c'est de cette façon qu'on se construit, en piochant à droite, à gauche divers éléments qui nous auront marqué, plu. Des intonations, des looks, des regards, des expressions...
Reste la question essentielle pour les médecins: qu'est-ce que j'attends de ma transition?
La réponse me semble simple, mais pas forcément à mettre en oeuvre. Je veux qu'on m'appelle "madame", quelles que soient les circonstances. Avec ou sans maquillage. Avec ou sans robe. Avec ou sans vêtement. Il n'y a que de cette façon que je pourrai me sentir épanouie, en sécurité, où je ne stresserai pas, dans la rue, à la plage, au boulot, dans la chambre à coucher qu'on m'accuse d'imposture, de déguisement, de tromperie. Parce que la société est ce qu'elle est. Une frange évolue dans le bon sens, pendant qu'une autre prépare la riposte, se durcit, se radicalise contre les personnes trans. Je ne veux pas me battre. Je le fais déjà pour d'autres raisons (et pour celle-ci aussi d'ailleurs) depuis très longtemps. Je veux simplement vivre ma petite vie tranquillement, continuer à me fondre dans la masse. Je sais qu'il y aura très probablement des frictions, des moments difficiles au cours de ma transition, que je devrai gérer au cas par cas, mais je ne me vois pas les subir à vie. J'ai trop longtemps été dépressive, trop longtemps souffert de stress post traumatique pour m'imposer d'autres souffrances. Je poursuis exactement le but inverse: éliminer au maximum ces souffrances.
Pour cela, il faudra que les hormones arrondissent mes angles (même si une partie non négligeable du boulot a déjà été fait), que le bistouri affine les traits de mon visage, transforme mon service trois-pièces, que je travaille un peu ma voix et mon élocution. Je pense avoir une base de travail relativement confortable. Je me suis même souvent demandé si je n'étais pas intergenre.
Je sais que cela va prendre des années, parce que j'ai un travail psychologique à mener, parce que mon environnement doit aussi se faire progressivement à l'idée. Ca ne m'enchante pas. J'ai bientôt 40 ans et le sentiment que l'essentiel de ma vie a déjà été gâché, que sentimentalement, le temps est assassin. Mais à part abandonner, ce que je vivrais très mal, je n'ai pas d'autre option.
Voilà quelle femme je suis...
Commentaires
Enregistrer un commentaire