Je commençais à m'apaiser. La douleur s'était estompée. La colère aussi.
Mais voilà, cette nuit, un nouveau bout de souvenir m'est revenu en mémoire. La sensation de la main de l'autre ordure sur mon sexe. Écoeurement. Colère. Rage.
La réflexion a suivi. Je me suis dit qu'un barrage, une fois qu'il est ébréché, finit irrémédiablement par se détruire, plus ou moins vite. La pression agrandit la brèche, fragilise tout l'édifice.
On dirait que c'est ce qui vient de se produire.
Et puis, j'ai repensé à mes nombreuses séances chez mon psy habituel. Combien de fois lui ai-je signalé que les silences, lors de ces séances, m'angoissaient à mourir? Chaque fois pour interrompre l'un de ces silences.
Pourquoi me mettent-ils aussi mal à l'aise, ces silences?
Première hypothèse: je ne sais pas quelle émotion "jouer", puisque lorsqu'on souffre de stress post traumatique, on "joue" les émotions qu'on ne ressent pas, pour se sociabiliser, pour paraître "normal". Mais je n'y crois pas.
Seconde hypothèse: Ces silences, ces vides aspirent, au contraire, mes émotions; les font ressortir. Et cet afflux d'émotions me fait paniquer. Je me suis alors demandé pourquoi elles me feraient paniquer. La réponse est simple. Ces émotions, c'est mon vrai moi. Celui que je n'ai pas le droit d'être. Celui qui a été agressé, violé. C'est pour cette raison, et pour d'autres par la suite, que ces barrages se sont édifiés. Parce que mon vrai moi s'est montré inadapté, trop vulnérable, trop faible, trop fragile, trop émotif. Pour tout mon être, il est extrêmement dangereux d'être vraiment moi-même. La dernière fois que je l'ai été, ça a abouti à un traumatisme épouvantable.
En outre, être moi-même, c'est réveiller ces souvenirs. Donc angoisse. Danger!
Quand on a vécu ce genre de traumatisme, il est essentiel d'être bien entouré, d'être rassuré, qu'on nous dise que ça va aller, qu'on nous autorise à craquer, qu'on nous aime. Non seulement ça n'a pas été mon cas, mais c'est même l'inverse qui s'est produit. Au lieu de cela, je me suis retrouvée au centre d'un conflit familial. Au lieu de cela, mon attitude "bizarre", ma soudaine faiblesse, ma soudaine inadaptation sociale a été à l'origine d'un interminable harcèlement scolaire.
Le barrage est devenu absolument essentiel. Avec le temps, il n'a cessé de se renforcer. Il fallait endiguer mon émotivité, ma vulnérabilité, ma douleur. Ne rien montrer. Sembler insensible, solide, fort, viril. Oui, fort et viril. C'était une question de survie. Je n'avais absolument aucun autre choix.
Et le côté pervers, c'est que tout mon univers s'est construit autour de cette fausse personnalité. Tout le monde me connaît avec ce masque, ce barrage. Et si demain je redevenais vraiment moi-même? Personne ne comprendrait. Même moi, rien que d'y penser, ça me terrifie. Perte totale des repères. Tout bougerait. Combien se détourneraient de moi? Combien se diraient que je suis bizarre voire cinglée? Combien perdraient tout intérêt à fréquenter cette inconnue que je suis aussi pour moi-même?
Oui, cette seconde hypothèse me semble beaucoup plus juste. Je mesure toute la dangerosité de ma situation, toute l'ampleur du travail à effectuer, pourquoi le nouveau psy estime que ce sera long.
Il va pourtant falloir qu'il pète, ce barrage. Et il va péter. Parce que je ne peux plus vivre de cette façon. Je ne peux définitivement plus. Et je commence à me foutre des conséquences de ce changement radical.
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