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"J'ai pas le droit"

Je parle finalement assez peu de transidentité depuis quelques articles, et je m'en excuse. Mais cette phase est essentielle pour moi, puisque tout est lié.
Je vais donc à nouveau parler de stress post traumatique.

Quand on a subi un véritable trauma, il est essentiel que quelqu'un de confiance vous prenne dans ses bras, vous dise que "ça va aller", que vous avez le droit d'aller mal, de pleurer, de craquer, de vous laisser aller. D'être vous même. Il est primordial de se sentir rassuré, aimé, sécurisé.

Dans mon cas, c'est l'inverse qui s'est produit. Ce qui est à la fois totalement logique et totalement illogique.
C'est totalement logique parce que je n'étais pas en mesure de l'exprimer, de le verbaliser, de l'expliquer ou même de le montrer. C'est totalement illogique parce que... c'est ce qui aurait dû se produire, malgré tout. Ce n'est que bien plus tard qu'au collège, on a noté une attitude inquiétante chez moi. Sauf que ça a été mis sur le compte d'autre chose. Et que ça n'a pas été pris en charge de façon sérieuse et rigoureuse. Quelques séances chez un psy, et c'est tout.

Non. C'est le contraire qui s'est produit. Je n'étais pas dans un environnement sécurisant, ni chez moi, ni au collège. Mon agresseur s'est ensuite mis à me harceler pendant plusieurs semaines. Au collège, j'ai commencé à être victime de harcèlement scolaire, parce que le mot "victime" était inscrit sur mon front. Impossible de réagir comme il aurait fallu. Impossible, comme auparavant, de m'adapter, d'avoir des relations sociales "normales".

Mon traumatisme s'est donc renforcé. Ma carapace, mon barrage s'est agrandi. Au lieu de "ça va aller", ce qui s'est inscrit au plus profond de mon esprit, c'est "je n'ai pas le droit".

Compliqué à expliquer. Je n'avais pas le droit d'aller mal, pas le droit de pleurer, pas le droit d'être vulnérable, pas le droit de sortir du rang et surtout pas le droit d'être moi-même. Cette certitude s'est ancrée avec le temps. C'était une question de survie. Ce n'est qu'après avoir redoublé ma seconde, après une année cauchemardesque au possible, que je l'ai intégré. Mon barrage s'est vraiment renforcé à partir de là. C'est à partir de là que j'ai vraiment commencé à paraître, à me faire violence, en permanence. Ce qui, évidemment, fonctionnait très moyennement. "J'ai pas le droit". Le traumatisme s'est aggravé, à cause d'autres mini traumatismes qui m'ont coupée d'avec moi-même, de mes émotions, de ma vraie personnalité.

Parce que ma vraie personnalité est vulnérable, faible. Trop pour ce monde de merde. Il fallait que je me virilise, que je muscle mon jeu pour ne pas mourir.

Quelques années plus tard, il y a eu une dépression, carabinée, qui a duré longtemps. Et qui est tellement logique, elle aussi. Parce que non seulement RIEN n'a été réglé. Jamais. Mais surtout parce que ça a continué à s'accumuler. C'est l'inconvénient majeur du barrage: il n'élimine pas les problèmes, il les cache. Jusqu'à ce qu'il ne puisse plus les cacher. Et là, ça part dans tous les sens et... on ne comprend pas pourquoi. Il m'a fallu près d'un an pour admettre qu'il s'agissait d'une dépression. Tout en me demandant jusqu'à encore très récemment "mais... pourquoi? Pourquoi une dépression? Ça allait pas trop mal à cette période!"

Ben oui, en apparence, sauf que ce mode de fonctionnement n'est absolument pas viable. Tout est là: en apparence. Tout n'est que masques. Ce n'est pas la réalité et ça ne peut pas effacer la réalité.


J'ai compris, hier soir, un nouvel aspect essentiel de mon stress post traumatique, liée au langage. J'ai un bac L, une licence de lettres, je travaille dans l'écriture et je ne comprends ça que maintenant.

Mon psy m'a répété plusieurs fois que mes expressions corporelles, que mes émotions ne sont pas "congruentes" avec mes propos, quand je parle de ce que j'ai subi, mais pas seulement. Et une grande partie du problème vient de là.

Les mots, ce n'est que de l'encre, des pixels, ou du vent. Sauf s'ils sont "animés" par les émotions. En réalité, je n'ai jamais parlé de ce que j'ai subi à quiconque. Je me suis contentée de raconter une histoire. Les mots étaient justes et décrivaient la réalité. Sauf que la réalité, ce sont aussi des émotions, celles suscitées par cet événement. Ce sont SURTOUT des émotions dans un cas comme celui-là. Or, il n'y a jamais eu la moindre émotion dans mon discours. Au point que même moi il m'arrive encore aujourd'hui de douter de sa véracité. J'ai toujours raconté ça comme si je racontais mon dernier achat dans une boulangerie.

Alors, forcément, personne n'a jamais jugé utile de me dire que "ça va aller", que j'ai le droit, de pleurer, de craquer, de partir en vrille, d'être vulnérable, d'être moi-même. Tout ça parce qu'au moment de l'agression, mon cerveau a disjoncté pour m'empêcher de mourir d'une overdose de telle ou telle sécrétion due au stress. La dissociation. Deux logiques, deux chemins pris par deux personnalités. Une réelle, enfermée, et une fictive, construite, comme un barrage.

Je repense à ces milliers de messages envoyés sur Internet ou par textos, avec tellement de smileys. Des smileys qui exprimaient non pas ce que je ressentais, mais ce que j'estimais devoir ressentir. Nouvelle métaphore: mon visage est un smiley depuis plus de 25 ans. Et chacun de ces smileys est un mensonge.


Les choses bougent, dans ma tête. J'ai remarqué que depuis 3 jours, je regarde les films que je mets sur ma télé. C'est dingue, non? Avant, entre l'écran et moi, il y avait un deuxième écran: mon téléphone. J'écoutais distraitement, j'arrivais à suivre, je levais la tête quand la musique s'énervait un peu ou se calmait de façon anormale. Mais j'avais besoin de me protéger avec mon téléphone. De me protéger des émotions que pouvaient susciter ces images et ces sons. Et là, d'un coup... ça ne me vient même pas de perturber mon visionnage avec ce machin. Je ne comprends pas bien pourquoi ou comment. Ça me trouble.
Au cinéma, c'est souvent un calvaire pour moi. Je me souviens de La Planète des singes, celui avec Mark Wahlberg. J'avais dû sortir de la salle suite à une crise de panique. Parce que pas de téléphone, pas de protection. Récemment, j'ai aussi dû gérer quelques angoisses avec l'excellent Captain Marvel. "J'ai pas le droit!"...

Je crois que je vais devoir rendre une visite, très pénible, à mes parents, d'ici quelques semaines. Pour leur expliquer ce qui m'est arrivé. Pour leur montrer la réalité de ce que j'ai subi. Avec mes yeux, avec mon visage, avec, probablement, mes larmes. Pour relier, plus de 25 ans après, les deux logiques. Et enfin obtenir leur vraie réaction.
Pour peut-être entendre que j'ai le droit.

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