Dès la réception de ce texto d'invitation, je l'ai pas sentie, cette "petite sauterie". Je ne pouvais pas décliner: les 40 ans d'un de mes meilleurs amis. Mais, d'emblée, je me suis projetée. La moitié au courant de ma transition et donc l'autre moitié, non. Entre les deux: beaucoup d'alcool et moi.
Et parmi les invités, un pote qui multiplie les "réflexions" déplacées, depuis mon coming out.
Quand je lui ai expliqué pour ma transformation, au début, bonne réaction. Rien à redire. Et puis d'un coup: "C'est mon fantasme de me taper un trans". J'ai dû lui répondre un truc du genre "ben ça le restera..."
La soirée suivante: "Quand t'auras fait ta vaginoplastie, faudra que je te mette un doigt, juste pour voir la différence avec un vrai vagin". Réponse: "Jamais tu me toucheras. Jamais." Bien sûr, c'était "pour rire".
Puis, soirée suivante: "Je me demande si t'as mis du vernis sur tes ongles de pieds". Réponse: "Il y a des sites Internet pour combler ta curiosité malsaine". Il le sait, il les connaît tous. C'est un habitué.
A aucune occasion, il ne s'est abstenu de ce genre de conneries. Aucune.
J'avais donc d'excellentes raisons de craindre que cet important anniversaire ne finisse avec du sang sur les murs.
J'ai été tendue du début à la fin. Je n'ai pas bu une goutte d'alcool et ce n'est pas simplement parce que ça ne me réussit pas. Je voulais surtout garder toute ma lucidité au cas où ça partirait en vrille, au cas où je devrais recadrer. Et pour pouvoir maîtriser mes nerfs.
Même sans lui, j'aurais été tendue. Je ne suis jamais tout à fait à l'aise avec des gens qui ne sont pas au courant de ma transition et je ne suis pas à l'aise avec mon apparence actuelle.
L'ami qui fêtait son anniversaire a sorti à un moment que j'aurais peut-être dû être placée avec les filles. C'est passé inaperçu.
L'autre abruti a disserté avec et malgré moi sur ma transidentité pendant une heure à côté de deux mecs que je connais à peine. J'ai dû répété cinq ou six fois "c'est pas le moment!", de façon de plus en plus insistante. Rien à branler. J'ai fini par lui dire "Ecoute, je vis une période pénible. Je suis fragilisée. Je suis donc facile à blesser et à vexer. Je ne suis pas contre en parler ou même qu'on vanne sur le sujet, mais avec intelligence et subtilité. Or, la subtilité, c'est clairement pas ton truc, donc évite."
Ca ne lui a pas plu, il s'est énervé. Parce qu'il sait ce que ça veut dire: qu'on va s'embrouiller, parce qu'il ne sait pas se retenir, parce qu'il n'est effectivement pas subtil, parce qu'il voudrait pouvoir dire ce qu'il veut et même... me toucher les seins.
Je suis restée zen, mais avec très grande difficulté. Dans un autre contexte, il aurait pris très cher. La tension finissait par être palpable, mais la soirée s'est terminée juste quand il le fallait.
Je pense que ma colère, presque toujours froide, doit faire penser aux gens que je suis faible, qu'on peut jouer avec moi, qu'on peut passer ses nerfs sur moi et que je ne dirai rien. C'est une erreur, et il le sait, pourtant. J'explose très rarement, mais c'est ce qui me rend dangereuse. Parce que ma froideur me permet de garder ma lucidité, de maîtriser la situation et de sortir des phrases aussi réfléchies qu'assassines.
Conclusion: lui, je ne veux plus voir sa gueule avant un long moment. Ce sera même peut-être définitif. Et ce genre de soirées, c'est mort.
Conclusion 2: la transition n'est pas que physique et psychologique, elle est aussi sociale. Il vaut mieux s'y préparer. Certains, certaines vont se révéler sous un jour génial, d'autres sous un jour dégueulasse. Indépendamment de ça, il va y avoir des affinités qui vont se créer, d'autres qui vont se détruire. Je vais être moins malheureuse, je l'espère, plus épanouie, plus moi et donc différente. Je change, mon univers va aussi changer. Ca a commencé.
En attendant, je commence à un peu mieux me projeter dans l'avenir. A force de réfléchir et surtout d'essayer des choses, de voir diverses personnes trans, je me dis que l'androgynie devrait parfaitement me convenir pendant une longue période, voire définitivement. A moitié pour plaisanter, j'ai l'habitude de me présenter comme un garçon manqué. Pour l'instant, je m'en fous qu'on m'appelle monsieur, même si je préfère qu'on m'appelle madame ou mademoiselle. Les jeans, c'est très bien et très confortable. Et au moins, je suis parfaitement à l'aise là-dedans. Pour l'instant toujours, je planque ma poitrine. Ca m'ennuie un peu, c'est physiquement assez désagréable, mais ça me mettrait mal à l'aise qu'on puisse la voir. Ca changera, avec la disparition de ma barbe (dont les poils qui avaient disparu réapparaissent...) et de ma pomme d'Adam.
On verra. Je m'adapterai petit à petit.
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