A l'occasion d'un tweet, je me suis souvenu d'un événement qui m'avait marquée, où on avait remis en cause ma virilité. Et puis, un autre a suivi immédiatement. Et un autre. Et quantité d'autres.
Ils pourraient sembler anodins, mais moi, forcément, ils m'ont perturbée. C'est pour cette raison que très longtemps après, ces souvenirs restent vifs dans ma mémoire. Ils témoignent, d'abord, d'une société où les hommes doivent correspondre à des critères bien déterminés et rigides (comme les femmes évidemment). Tout ce qui est entre les deux ne semble mériter que mépris.
Ils témoignent, aussi, d'une impossibilité pour moi d'assumer ce rôle d'homme, aussi bien physiquement que mentalement.
Le tout premier reste très flou pour moi parce que je n'étais qu'un très jeune enfant. C'était la fête de l'école. Il fallait danser, avec un tutu et des collants. Je me souviens parfaitement des chaudes larmes que j'avais versé dans les bras de ma mère lorsque la dernière note a retenti. Pourquoi ces larmes? Parce qu'on m'avait habillée comme une fille et forcée à danser? Ca ne m'avait pas perturbée pendant les répétitions, donc non. Et puis, j'ai un autre souvenir, inverse, où on avait séparé notre classe par genre et... sans réfléchir j'étais restée avec les filles jusqu'à ce que l'une d'elles me fassent remarquer que j'étais un garçon. Donc, clairement non. J'ai pleuré parce qu'on s'était moqué de moi, et on s'était moqué de moi parce que je ressemblais à une fille. Depuis, j'ai toujours détesté la danse. Jusqu'à il y a quelques mois. Aujourd'hui, j'envisage de m'inscrire dans une école.
Le second est particulièrement douloureux. C'était à la période du collège, pendant les grandes vacances. Pas de puberté en vue, elle n'arriverait qu'à la fin de ma première seconde. Il faisait chaud et j'avais attaché mon pull autour de mes hanches, comme j'ai toujours l'habitude de le faire. Je me baladais avec un type qui était déjà au lycée. Un copain. En regardant mon ombre, il m'a fait remarquer qu'avec mon pull, comme ça, je ressemblais à une fille. Rien de vraiment vexant et oui ça donne l'impression qu'on porte une jupe, mais... Un peu plus tard, ce même type, cette ordure m'agressait sexuellement. Il y a quelques mois, lors de la confrontation, il a nié toute attirance homosexuelle, et effectivement il a une compagne depuis plusieurs années...
Toujours à cette période du collège, on me reprochait... énormément de choses, mes fringues de pauvre, ma coiffure, mais aussi mon manque de virilité. Bon, c'était des pré-ados, on va dire que ça ne compte pas.
Adolescence! Mes meilleurs amis m'appelaient quasi tout le temps "taffiole". Je leur rendais, ou je les appelais "connards". C'était pour rire, que je me disais. Aujourd'hui, aucun n'est vraiment surpris quand je leur dis que je suis une femme...
Dans le même temps, mon oncle par alliance, qui s'évertue à se présenter comme une caricature de virilité jusqu'à, souvent, se montrer con comme une bite, a passé une bonne partie de son temps à me rabaisser. Parce que selon ses critères, j'étais pas un homme. Pas assez costaud, pas assez combattif, tout le temps à se plaindre... Et c'est vrai que sans mon meilleur ami, je me serais fait défoncer la gueule et humilier un sacré paquet de fois. Dommage qu'il n'ait pas toujours été là...
Parce que, voyez, c'est assez représentatif, je crois, de ce qu'est la transidentité, de ne pas être né(e) dans le bon corps. On n'est pas équipé mentalement (et dans mon cas physiquement non plus, mais je pense que les deux sont en parties liés: j'ai rien fait pour me muscler parce que berk) pour répondre à ces attentes. Donc on est perçu comme faible. Donc on s'en prend plein la gueule.
Un peu plus tard, je m'étais inscrite au foot, pour faire comme les copains, ayant trouvé là une façon de m'intégrer, d'être acceptée, de restaurer (artificiellement) ma virilité... Belle connerie qui aura duré deux ou trois ans, où je m'en suis encore pris plein la gueule, même si j'avais gagné en répondant (merci la testostérone). Assise dans le salon, à côté de mon père et devant la télé, pieds nus, il m'a sorti, sans préambule "t'as des pieds de fille". Rien d'autre. Une remarque péremptoire, gratuite, de vérité générale prononcée par une autorité morale et intellectuelle, LE modèle de virilité. Je crois n'avoir rien répondu. J'ai juste regardé mes pieds, sceptique, parce que pour le coup je trouvais pas. Et je ne trouve toujours pas. Des escarpins en 42 43, faut les trouver, déjà. Puis bon, c'est quoi des pieds de fille?
Ensuite... il y a eu les mains. Un gars, avec qui je suis devenue copine (enfin copain, quoi), la première fois qu'il m'a serré la main: "Wah! T'as des ptites mains!" s'est-il écrié non sans avoir sursauté. Par la suite, il me l'a répété à chaque fois qu'on se voyait. Ben oui, il est mécanicien auto, a des paluches trois fois comme les miennes alors qu'il est plus petit que moi et sa copine, au demeurant très belle et très "féminine" a des mains plus larges que les miennes. C'est un fait.
Par la suite, à de très nombreuses reprises, on m'a sorti que j'avais des mains... d'artiste, de pianiste, de guitariste... Autant de façon de ne pas me vexer en me disant que j'ai des mains de femme. Bon, là, je m'en plains pas, ça va sans dire.
Les premiers petits boulots. Manuels, forcément, pendant mes études. Cauchemar! Qu'est-ce que je me suis pris encore! Du collègue qui me gueulait dessus parce que je ne lui écrasais pas les doigts quand on se saluait (mais comment on peut être aussi con?) en passant par le service livraison composé de "Monsieur propres" et où forcément, dès le départ, je ressemblais à une danseuse de ballet. Et pour finir... la chef tarée qui, là encore, dès la première poignée de main (faut croire que c'est à la fois culturel et obsessionnel), à chaque difficulté, chaque faiblesse attaquait ma virilité. "Non mais c'est pas possible! T'es sûr que t'es un homme?". Ben... non. En fait non, j'en étais pas bien sûre et aujourd'hui... Mais en même temps qu'est-ce que ça peut foutre? J'étais pas à ma place, je faisais mal le boulot, c'est un fait mais il fallait pas me prendre, ni me garder. J'ai des mains d'artiste et j'y peux rien, bordel. J'ai laissé tomber les boulots manuels, du coup. Et bizarrement, dans l'intellectuel, on m'a plus trop emmerdée avec ça.
D'ailleurs, j'ai failli oublier le lycée et la fac. Des études littéraires. Avec quasiment que des filles comme camarades. J'adorais ça, je me sentais pleinement dans mon élément. "Tain tu dois en niquer une différente tous les soirs!", me disaient, en substance, certains potes. Très surpris du coup d'apprendre que non, et que même j'étais toujours vierge. Que je n'avais même jamais eu de petite amie. Ni de petit ami. Regards interrogateurs. Sans compter les camarades elles-mêmes qui ne m'ont jamais vue autrement que comme... une copine, avec qui on peut parler de tampons, de pilules, de bonnets de soutifs, de leurs déboires avec les mecs... Ce qui était... troublant, pour l'homme que je croyais être, sans avoir de grande certitude sur le sujet.
Et avec tout ça, je pense qu'on peut le comprendre.
Maintenant, j'en suis à un stade où j'ai peur qu'on me dise que je suis et que je serai toujours un mec, quoi que je fasse. Mais ça m'amuse de penser que ce seront ces mêmes connards qui, toute ma vie, m'auront reproché mon manque de virilité (je compte pas mon père et mes amis dans les connards, hein?). Ils n'auront pas l'intelligence de se rendre compte de leurs contradictions (c'est pour ça que tout le monde ne rentre pas dans la case "connards"). Je ne suis manifestement pas un mec pour énormément de monde et.... en même temps je ne peux pas être autre chose pour à peu près le même type de personnes.
En somme, dans le pire des cas, on continuera à m'emmerder, mais en me disant l'inverse de ce que j'ai pris jusqu'à présent; dans le meilleur des cas... je serai enfin à ma juste place dans la société. Et dans tous les cas, j'aurai un corps qui me rendra moins malade quand je passerai devant un miroir. Voire plus du tout.
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