J'ai tardé pour l'écrire et encore aujourd'hui je dois me faire violence. Pourquoi? Parce que nommer c'est reconnaître l'existence.
Et il se trouve que poser des mots m'est pénible. Très pénible. Dire "je suis transgenre" ou "je suis transidentitaire" ou "je suis une trans" et pire encore "je suis une femme", je l'évite autant que possible. J'utilise des périphrases, à la place. Je dis "les gens dans ma situation". Vous remarquerez l'absence de "je". C'est un rejet de ce que je suis, parce que je refuse toujours de l'être.
Je pense pouvoir dire que personne ne se réjouit d'être trans, autrement dit, de ne pas être né dans le bon corps. Comment pourrait-il en être autrement? Il faudrait être sacrément masochiste pour se dire "Chouette! Je vais pouvoir prendre des hormones bien dangereuses, me faire charcuter, me faire discriminer! Trop cool!"
Non. C'est un handicap avec lequel il faut composer, et pour lequel la médecine moderne propose des solutions assez risquées. Le seul choix qui s'offre à nous, c'est entre sa santé mentale et sa santé physique. Sachant que la santé mentale a forcément une incidence sur le physique. Genre, si on ne supporte pas cette fausse vie avec ce corps perçu comme étranger, on peut être amené à se suicider. Et si on se suicide, la santé physique, elle en prend un coup. Je ne parle même pas de la clope, de l'alcool, de la drogue et de tous les comportements qui s'apparentent à un suicide à petit feu, et qui émanent de ce mal-être (mais qui peuvent aussi avoir d'autres causes, hein?).
Et je pense que donc la première étape est quelque part de faire son deuil, de digérer ce constat: "je suis trans".
Comme pour tout deuil, il faut réaliser, progressivement. Et pour réaliser, il y a différents moyens. Nommer en fait partie. Le dire à son entourage aussi. Verbaliser. Dans mon cas, il s'agit de verbaliser quelque chose que je n'osais pas m'avouer à moi-même. C'est compliqué.
D'autant qu'il y a aussi l'autre, avec son histoire, son propre nom, ce rôle qu'on a joué pendant 38 ans, dans mon cas. Qu'est-ce qu'on en fait? En sachant qu'il nous poursuivra toute notre vie, ce dépressif, ce guerrier, ce loser formidable, à cause de l'administration, à cause des souvenirs, à cause de l'entourage...
Plusieurs fois, on m'a demandé si je m'étais choisi un prénom. Ma réponse a toujours été "Euh! Je suis pas bien sûr(e) encore!". Ce qui n'est pas faux, mais ce qui n'est pas tout à fait vrai non plus. Dès le départ, ça m'a sauté dessus presque comme une évidence. Ce sera Laure, pour tout un tas de raisons sémantiques, affectifs, symboliques... Et aussi parce que personne dans mon entourage ne le porte, ce prénom.
Parce que, malgré tout, sans l'avoir vécu, on ne peut s'imaginer la galère de se trouver un prénom. Un animal de compagnie, en général, ça se fait vite. Pour ses enfants, c'est déjà autrement plus compliqué. Mais pour soi-même...
On peut botter en touche et demander à ses parents, mais ça me semble sadique. Déjà qu'ils doivent digérer que leur fils/fille va maltraiter la chair de leur chair, foutre à la poubelle le prénom qu'ils s'étaient cassé la tête à trouver et grandement amoindrir leurs chances de devenir grand-parents si ce n'est déjà fait.
Donc, on se retrouve à faire le tour des prénoms du calendrier, pour commencer. On enchaîne avec les personnages de fictions. Un petit tour au rayon fruits et légumes, avec les Clémentine et autres Cerise et on finit par se dire "et pourquoi pas Courgette?". On tente en vain les anagrammes. On en trouve un bien et d'un coup on se rend compte qu'il est aussi porté par une connasse finie (célèbre ou celle qui nous a emmerdée au collège). On part en se disant de surtout éviter les prénoms utilisés par les actrices porno avant de se rendre compte qu'ils ont à peu près tous été utilisés par des actrices porno. Arrivé à ce stade, on en arrive à envisager des prénoms qui donnent tout de suite la couleur, du genre Cyprine ou Clitorine, pour rire. On part à l'étranger, en évitant les prénoms anglophones généralement choisis par les classes les plus populaires et les moins cultivées parce qu'on n'a pas envie de finir dans une émission de téléréalité...
Et puis dans mon cas, il restait Elise, Lise et... Laure.
Donc, le choix est fait. Reste que les choses prennent du temps à se mettre en place. Je progresse, dans mon deuil, dans ma reconstruction, mais quel chantier!
J'ai repoussé la prise de sang qui doit dire si je suis apte ou non à prendre des hormones jusqu'au dernier moment. Et il se trouve qu'elle n'est pas parfaite, mais je laisserai un médecin me dire ce qu'il en est.
Parce qu'il faut aussi comprendre qu'en moi se battent deux mouvements contradictoires. L'un qui me dit "Hé ho! Va doucement tu peux pas te louper là-dessus! Faut être sûre et prête psychologiquement pour t'engager là-dedans!" et l'autre qui me dit "Non mais fonce, sans déconner! Tu trouves pas que t'as déjà perdu assez de temps comme ça? En plus, tant que t'auras pas été au bout du processus, ça va t'obséder, te ronger, te dévorer, te rendre malade!"
De son côté, la Sécu, qui m'appelle "Madame, Monsieur", a "l'honneur" de m'informer que ma demande d'Affection Longue Durée a été refusée. Autrement dit, un type, qui a quand même fait médecine, qui ne m'a jamais vue, jamais parlé, dont je ne connais ni le nom ni le visage, dont j'ignore les références, l'expérience, a décidé que non, je ne suis pas une femme. Ce qui va me forcer à lancer un recours. Je pense que je vais m'éclater pour le rédiger, ce recours. Par contre eux risquent de blanchir en le lisant.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire, ce qui explique cet article à la fois long et un peu foutraque, mais en ce moment... je ressens plus le besoin de me défouler sur Star wars Battlefront. Qui me permet aussi de m'évader de cette enveloppe corporelle et de ces prises de tête incessantes.
Commentaires
Enregistrer un commentaire