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J'ai sauté du plongeoir

Je suis restée silencieuse un long moment, alors qu'il y avait tant de choses à dire. Mais je préférais rester dans mon cocon.

J'ai revu le docteur, avec ma prise de sang. Sur pas mal de choses, je n'étais pas dans les normes. Une partie de moi voulait que le toubib me dise "ça va pas le faire, on ne va pas pouvoir vous donner d'hormones, ce serait trop dangereux". Une autre partie me disait "Putain! Et si c'est pas possible, je vais faire quoi??". Il n'a pas hésité une seconde en la voyant et je me suis donc retrouvée avec cette fameuse prescription. Je pensais qu'il faudrait voir un endocrinologue, avant. Mais non. Même pas.

Je suis restée avec ma prescription pendant plusieurs jours sur ma table basse. A chercher des moyens de retarder l'échéance. Je vais d'abord attendre le résultat de mon recours pour l'ALD, on ne sait jamais. Je vais attendre de rencontrer untel et untel. Je vais d'abord consulter mon psy, et puis un autre... Mais j'ai compris que c'était déjà ce que je faisais depuis 25 ans. Chercher une autre option. Pour un résultat pourri.

Chaque fois, j'en reviens toujours au même point. Près de six mois que j'y réfléchis, que je retourne sans cesse le problème dans tous les sens. On ne peut pas dire que ce soit une décision impulsive, irréfléchie, prise sous le coup de l'émotion. Mais ce n'est pas non plus une décision anodine. Je ne m'apprêtais pas à prendre un cachet de paracétamol. Je m'apprêtais à changer de vie, radicalement, à travers mon corps.

Le samedi qui a suivi, je me suis donc rendue à la pharmacie. J'espérais qu'en cinq minutes, j'en serais sortie avec les hormones. Il faisait un temps de chien: un vent fort et froid m'envoyait une pluie épaisse sur le visage, m'obligeant à tenir ma capuche. Je n'ai pu m'empêcher de me dire que c'était dame Nature ou Dieu qui voulait me renvoyer chez moi, m'envoyer un ultime avertissement. Sauf que c'est la meilleure façon de me pousser vers l'avant.

A la pharmacie, je me retrouve derrière une dame qui a longuement tenté de frauder pour obtenir des médicaments dont elle abusait, ce qui a visiblement agacé la pharmacienne. Super! Après un bon quart d'heure, c'est mon tour. J'ai une boule dans la gorge, le "bonjour" sort péniblement. Elle prend l'ordonnance et met cinq bonnes minutes à trouver les bons produits. De retour à sa caisse, elle me demande "C'est pour vous? C'est normal?". Je bafouille que oui, en me demandant si le terme "normal" est bien approprié, mais je ne suis pas en état d'y réfléchir et encore moins d'en débattre. Il y a du monde autour.

Et évidemment, elle coince, s'absente encore cinq minutes pour discuter avec le chef puis avec une collègue, pour savoir si ce serait remboursé, parce que... c'est pour les femmes, normalement, vous comprenez? Alors, normalement, la sécu ne va pas vouloir. Je parviens à lui répondre que d'après mon toubib ça ne devrait pas poser de problème. Au pire, si ça bloque, je reviendrai pour leur donner les 27 euros.

J'obtiens finalement ce que j'étais venue chercher et je sors de là en soufflant très fort. Je me compare à un gamin de 15 ans tentant de faire passer une pack de bières à la caisse d'un supermarché. Je me revois, ado, acheter à la librairie mon premier magazine hentaï (il n'y a dû y en avoir que trois, au total...). Je me revois un peu plus tard, fumer mon premier joint. 
Mais non, rien n'est comparable avec ce que j'étais en train d'accomplir. Même pas l'angoisse.

En revenant chez moi, je m'étais dit que ça ne m'empêchait pas d'attendre avant de les prendre. Mais je savais que j'allais le faire. Que ce n'était qu'une question d'heures, de jours tout au plus. J'ai ouvert la notice du premier, et j'ai vu répétés les mots "cancer", "AVC", "thrombose"... Boule dans la gorge, le retour. On referme la notice. Après tout, avec la pilule contraceptive, c'est à peu près la même chose et quasiment toutes les femmes (bio) la prennent, longtemps. Il faut faire confiance à ce toubib proche de la retraite qui a rempli cette même prescription des centaines de fois. Conflit intérieur. Comme jamais. Pendant des heures. Vers minuit, ce samedi 21 avril, j'ai compris que je ne pouvais pas rester dans cet état, et que j'y resterais tant que je n'aurais pas sauté de ce foutu plongeoir. J'enchaîne les métaphores parce que c'est une façon de fuir la réalité.

Alors, j'ai inspiré un grand coup et je l'ai fait. J'ai sauté. Sans voir la piscine. Sans savoir s'il y a de l'eau dedans. S'il y en a assez. S'il n'y a pas des gens que je risque de percuter. J'ai sauté. Un patch collé dans mon dos, exactement le même que ceux que je m'étais appliqués pour essayer, vainement, d'arrêter de fumer. Et une gélule de progestérone. Deux gestes d'une simplicité extrême pour un acte aux conséquences phénoménales.

Et après ça, j'ai scruté. Et je scrute encore.

Les premiers jours, l'angoisse continuait à me tirailler, et avec elle son lot d'illusions psychosomatiques. En réalité, depuis neuf jours, je n'ai noté aucun changement. Ni dans ma tête, ni dans mon corps.

Je continue à me poser des questions, mais moins. L'angoisse a un peu baissé. Parce que c'est fait. Il y aura tout un tas de problèmes à régler dans les mois et les années qui viennent. Mais je me dis que j'aviserai en temps utile. Le collectif est là pour m'accompagner, m'aider, m'orienter et me soutenir. Le psychologue, le psychiatre sont là pour m'aider à digérer ma métamorphose. Une partie de mes amis m'assurent de leur présence quoi qu'il arrive.

Pour le moment, le seul effet ressenti, c'est avec la progestérone. Effectivement, ce n'est pas quelque chose à prendre le matin. Moi qui souffrais d'insomnies, j'en suis pratiquement guérie. Une heure de badminton, une pizza, une gélule et je peux vous dire que Morphée arrive direct pour vous mettre un coup de batte de baseball plein front.

Je m'attendais à perdre ma libido... et c'est limite si elle n'a pas augmenté.

Donc non, pour le moment aucun changement. Si ce n'est que je passe une partie non négligeable de mon temps à surveiller ma poitrine et mon entrejambe. Et mes poils, aussi. 

Hé non, Laure, ce n'est pas une baguette magique. Tu viens tout juste de démarrer ta seconde puberté. Et d'après le toubib, les effets vont s'étaler sur deux ans. Te laissant ainsi tout le temps, comme à ton environnement, de t'adapter.


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