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Trouille et références

J'ai la trouille. Et pas qu'un peu.
Régulièrement, j'ai cette idée qui me revient en tête: "Et si tu te trompais? Et si tu n'étais pas réellement trans? Non, parce que les hormones, c'est définitif, hein? Tu peux pas faire machine arrière. Y a pas de satisfait ou remboursé. Donc, si au final, t'es autre chose, cis, queer, genderfluid etc, ben dommage. Tu vas sérieusement morfler. Et jusqu'à la fin de tes jours."

Chaque fois que j'ai cette pointe d'angoisse, je l'écarte. Très vite. Parce que j'ai retourné le sujet dans tous les sens. Non, je ne suis pas transvesti, et donc pas cis. Ce n'est pas une question de vêtements, de simple apparence, ça me semble évident. Non, je ne suis manifestement pas queer ou genderfluid. 

Je l'écarte, mais elle revient, et souvent elle est accompagnée d'une autre: "tu vas être moche, tu ne seras jamais une femme, tu seras un trans. Tes testicules, même si on te les coupe, vont te revenir dans la tronche, en permanence."

Je l'écarte aussi vite. Je me trouve moche telle que je suis, un peu moins en étant épilée. Plus je me donne une apparence féminine et plus je me plais. De toute façon, quoi que je fasse ou pas, je suis trans. C'est comme ça. Donc, me féminiser ne peut que m'aider à me plaire à moi-même. Et si je me plais à moi-même, ce qui n'a jamais été le cas, je plairai aux autres. Pas à tous les autres, mais aujourd'hui non plus je ne plais pas à tout le monde. Personne ne fait l'unanimité.

J'ai compris que si je voulais en parler, brutalement, à mes proches, c'est peut-être parce que je voulais qu'ils me disent "Non! Ne fais pas ça! C'est n'importe quoi, t'es très bien comme ça!' Qu'ils me retiennent. Parce que j'ai la trouille, parce que je n'ai pas envie de prendre cette responsabilité, seule. Assumer seule un choix pareil.

La trouille. Parce que je ne suis pas une leader, particulièrement depuis mon agression. Les quelques personnes à qui j'en ai parlé louent mon courage. J'en ai. Mais là, je me sens un peu comme un navigateur du 15ème siècle qui regarderait l'Atlantique en se disant qu'il doit être possible d'atteindre l'Inde en y naviguant assez longtemps. Mais je ne suis pas Christophe Collomb. Mon égo, ma foi en moi est faible. Trop faible. La faute à pas mal de choses, à commencer par la dysphorie.

Comme je ne suis pas une leader, j'ai besoin de gens à suivre. Or, dans mon entourage, je ne connais aucun trans, et même très peu de LGBTQ. Personne de "réel", d'intime pour me prouver que c'est possible. Personne à qui m'identifier. Il y a Internet (coucou Elysa, Mia...), il y a les reportages, les témoignages... Mais c'est pas pareil. Ca reste "irréel", "abstrait", lointain. Leurs histoires ne sont pas la mienne et ne se mêle pas vraiment à la mienne, juste à distance.

Il faut donc, avant de me lancer, que je rencontre des femmes du collectif qui m'accompagne. Que je me familiarise avec elles. Que je voie, que j'entende, que je ressente. Que je réalise, en somme.

Et puis, je me suis demandé s'il n'existait pas des "modèles". Des trans, que je ne connais pas personnellement, mais qui suscitent mon admiration. Des personnalités qui susciteraient mon admiration.
Et il y en a.

La première personne à laquelle j'ai pensé n'est pas trans. Il s'agit de Brian Molko, le leader du groupe Placebo. Un artiste de génie, androgyne, avec un look à la fois rock et ambiguë, dont le charisme et le talent oeuvrent naturellement depuis de nombreuses années pour normaliser la fluidité du genre.

Et puis, il y a évidemment Chelsea Manning. L'incarnation, à mes yeux, du courage. Elle a oeuvré pour la vérité, la transparence, la justice. Elle l'a durement payé, se retrouvant en prison pendant plusieurs années. Sa transidentité et sa transition ont été exposées publiquement, médiatiquement. Elle a pris des coups pour nous toutes. On peut débattre de l'utilité pour l'humanité de ce que les USA considèrent comme une trahison, mais pour le reste... Personne ne peut contester son incroyable courage. Une héroïne bien réelle.

Encore, il y a les soeurs Wachowski. Réalisatrices, géniales, de Matrix, entre autres chef-d'oeuvres du cinéma, dont le talent n'a pas été amoindri par les hormones, et qui semblent heureuses d'avoir choisi cette voie.

Enfin, Jin Xing. Elle est trans, colonelle dans l'armée chinoise, danseuse, chorégraphe... Qu'ajouter d'autre?

Quand je vois leurs histoires, leurs succès, je me dis simplement "wahou!". Et là oui, je me dis que, vraiment, j'adorerais être comme elles. On peut parler de modèles. Sans amoindrir les héroïnes plus discrètes avec qui je peux discuter par Internet, Skype, voir dans les documentaires etc dont j'admire également le courage.

Toutes me donnent de la force, et m'aident à croire en moi. Et c'est primordial.

Pour la suite de ce blog, je pense que le prochain article portera sur... le choix du prénom. Sujet autrement plus léger, mais essentiel. Parce que l'air de rien, c'est galère...

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