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Trouver un équilibre

(Écrit le 04/10/17)

Dans quelques temps, j'écrirai, sans doute, des articles un peu moins sombres. Mais pour le moment, je suis dans un épais brouillard, et donc dans les ténèbres.
Je commence à me faire à l'idée d'être transgenre. Mais il y a toujours des résistances. Ce serait tellement plus simple, si j'étais en accord, en harmonie avec mon corps. Si j'étais un homme, à l'extérieur comme à l'intérieur et si possible hétéro. Pas de prise de tête, pas d'angoisse d'être rejeté, moqué. Une vie "normale". Simple.
Mais apparemment, il n'existe pas de thérapie pour "corriger" ce sentiment d'être une femme. Parce que ce n'est pas une maladie, pas plus que l'homosexualité.

Ce qui me tiraille ce sont les miroirs. Toujours. J'ai tendance à penser que ce qu'on peut voir, toucher, c'est la réalité. L'esprit, lui, peut se tromper. Les sentiments peuvent être trompeurs. Ce que je vois dans un miroir, c'est un homme. Il n'y a pas de doute à avoir sur le sujet. C'est comme ça que je raisonne depuis l'adolescence et l'apparition de ce trouble. "Arrête tes conneries, tu vois bien que t'es un mec! Tu peux le regretter, mais c'est comme ça! Alors arrête et comporte toi comme un homme!".

Raisonnement qui m'apparaît désormais comme absurde, mais voilà, je me raccrochais à la matière. Parce que la matière, c'est solide, ça ne ment pas.

Et j'avais trouvé un équilibre comme ça, en me rappelant à longueur de journée que je suis un mec, en touchant ma barbe, mes cheveux courts, rasés, histoire de ne pas l'oublier. Et une ou deux fois par semaine, je picolais et je laissais la place à "l'autre" pour quelques heures. Pour ensuite me demander si je suis schizo, possédé, taré, homosexuel refoulé, fétichiste... Et puis me toucher la barbe qui repoussait, et oublier. Mettre "l'autre" sous le tapis pour assurer une vie "normale".

Un équilibre assez épuisant et pas du tout épanouissant.

Mais aujourd'hui, je dois bien avouer que c'est clairement pire. Et je ne peux plus revenir en arrière. J'ai brisé la digue et désormais je suis submergé par un torrent d'émotions et de questionnements nouveaux.

"Tu vas bien? T'es tout pâle...", m'a-t-on dit à plusieurs reprises ces derniers jours. Je réponds que je dors mal en ce moment, des travaux à côté de chez moi. Des soucis personnels.

Mon toubib m'a prescrit du Stresam, parce que visiblement ça ne va pas. Je prenais déjà de l'Atarax, à doses homéopathiques. Parce que ça fait quelque chose comme 20 ans que je bouffe du chimique, tous les jours, en ayant essayé à peu près toutes les molécules. Anxyolithiques, antidépresseurs, hypnotiques... Avec des résultats souvent pires que le mal lui-même. J'ai fini par tout jeter, sauf ces quelques millilitres d'Atarax, parce que j'allais globalement mieux, parce que j'en avais plein le cul de tout ça.

J'ai néanmoins réessayé le Stresam, parce qu'effectivement un peu d'aide, là, c'était pas de refus. Une semaine. Aucune amélioration, une aggravation des insomnies, somnolence accrue et des démangeaisons au cuir chevelu assez agaçantes. J'ai arrêté hier, repris ma dose homéopathique d'Atarax, et ça va un peu mieux.

Mais il faut toujours que je retrouve un équilibre.

Je me suis inscrite sur une application de... jeu de rôle sexuel. Je me suis créé un avatar et un profil où je montre juste mes jambes épilées, surmontées d'une robe, en expliquant que je suis transgenre (même si je n'en ai toujours pas la certitude absolue, disons que là j'en suis à 85%, contre 55% lors de la rédaction de mon premier article sur ce blog). L'idée n'était pas d'assouvir mes fantasmes, mais de voir comment j'allais être perçue. Le virtuel induit une distance qui me semble pour le moment nécessaire et ce genre d'application est fréquentée par une population à la sexualité très variée. Certains sont comme moi, d'autres sont très probablement de vrais prédateurs, d'autres encore sont de simples curieux, des timides... Bref, il me semblait que dans cette mosaïque, j'avais des chances de trouver une place. Et donc de me rassurer. Et c'est le cas. De nombreuses personnes qui se présentent comme bisexuelles viennent me parler, hommes et femmes. Mais aussi des hétéros. On me pose beaucoup de questions, on me complimente sur mes jambes, sur mon courage, sur mon "originalité". On me demande même conseil pour des amis ou pour soi (!!!). On me fait aussi tout un tas de propositions plus ou moins décentes et plus ou moins virtuelles, mais là je filtre. C'est pas le but, au moins pour le moment.

Ca m'aide à m'accepter telle que je suis et pour le moment, même si je ne sais pas encore trop ce que je suis, j'en ai besoin.

En dehors du virtuel, c'est plus compliqué. Je me teste, seule. Epilation des jambes, donc, des bras. Et j'adore ça. J'adore ce que je vois, ce que je sens (même si c'est du boulot et que ça pique un peu). Mais dans le même temps, je me sens obligée de cacher mes bras et mes jambes. Parce que j'en ai honte, parce que j'ai peur qu'on se moque. Parce que j'ai peur qu'on me colle une étiquette dont je ne suis sûre qu'à 85% pour le moment. Et si je me plante? Je vais dire quoi aux gens à qui j'aurais expliqué ou montré que je suis transgenre? Dans le même temps, j'ai envie de le hurler à la terre entière, que je suis transgenre, ou plutôt que je suis une femme dans un foutu corps d'homme. Histoire d'être tranquille. Voilà, c'est fait, deal with it.

Ca fait beaucoup de choses contradictoires "dans le même temps". Et je me dis que si je continue à aussi mal dormir, je vais finir par être obligée de l'expliquer autour de moi, pourquoi je suis mal. C'est peut-être le but inconscient de ces insomnies, d'ailleurs, de me forcer à hurler au monde que je suis une femme. "L'autre" ou plutôt "Laure" (hé oui, je suis écrivaine, n'en déplaise à Christine Angot, donc le choix de ce prénom n'est pas dû au hasard, mais j'y reviendrai dans un autre article) qui veut clamer son identité au monde entier, sortir enfin de l'ombre, des ténèbres, de cette absurde honte dans laquelle je me suis enfermée depuis trop d'années, planquée derrière un masque. Et une barbe.

Je pense que les choses vont finir par se décanter progressivement. Le tout est de ne pas paniquer, de ne pas s'enflammer, ne pas brusquer. Je vais finir par retrouver un équilibre plus sain, plus épanouissant. Etape par étape.

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