J'ai donc passé une expertise
psychologique. Je n'ai pas encore le compte-rendu, mais l'experte a tenu
à m'expliquer quelques petites choses. D'un strict point de vue
judiciaire, évidemment, je ne vais pas m'étaler. Juste dire que je n'ai
pas de propension au mensonge, que je ne suis pas psychotique, pas
d'hallucination, de délire et donc que je suis parfaitement crédible.
Mais surtout, elle m'a expliqué comment fonctionne le refoulement et c'est là que ça devient intéressant pour ce blog.
D'après ce que j'ai compris, au moment
de mon traumatisme, mon esprit, pour se défendre, a créé une sorte de
dissociation. Ce qui explique pourquoi encore aujourd'hui, je n'arrive
pas à pleinement réaliser, à associer les faits avec mon ressenti.
Intellectuellement, je comprends ce qui s'est passé et la gravité et
évidemment je ressens une intense émotion quand je dois les expliquer,
mais aussi bizarre que ça puisse sembler, je suis incapable d'associer
les deux.
Il en résulte que pour moi, juste après
cette agression... mon esprit s'est mis à considérer qu'il ne s'était
rien passé, que ça n'a pas existé. Le problème, c'est qu'il s'est passé
quelque chose. De grave. Qui a laissé une blessure profonde. Qui a de
lourdes conséquences. Donc, pour moi, comme pour mon entourage, il y a
eu un changement radical dans mon comportement... mais sans raison
apparente. Comme c'est arrivé au moment du collège, on a mis ça sur le
compte de la puberté et de la cruauté des préadolescents qui
m'entouraient. "Ca va passer, c'est pas grave". Mais ça n'est jamais
passé.
Mon entourage et moi n'avons donc pas
compris, à cause de cette dissociation, pourquoi mon rapport aux autres
est passé de "très bon" à "médiocre", pourquoi mon humeur est passée de
"bonne" à "triste ou en colère" voire, plus tard à "dépression plus ou
moins sévère". Idem pour les crises d'angoisses voire de panique, idem
pour la confiance en moi, les problèmes d'endormissement, la sexualité
et évidemment l'identité sexuelle.
Tout ça nous apparaissait comme insensé,
sans raison. A moi en particulier. C'est pourquoi j'ai toujours eu une
peur bleue d'être "fou". Je ne comprenais pas, et je ne pouvais pas
comprendre mon propre comportement.
Alors, j'ai commis "une erreur": j'ai
voulu faire comme si tous ces troubles n'existaient pas. Puisqu'il n'y
avait aucune raison à ce que je vive une vie "anormale", hé bien je
vivrais une vie "normale". Aussi "normale" que possible.
Et évidemment, j'ai échoué. Même si avec
le recul, je trouve que je m'en suis vachement bien tiré, je ne pouvais
qu'échouer. J'étais comme un écureuil qui voulait mener une vie
"normale" de poisson. (vous pouvez remplacer par d'autres animaux, c'est
ce qui m'est venu spontanément)
Donc pour un écureuil, oui, je me
démerde vachement bien dans la flotte. N'empêche que les vrais poissons,
ils n'ont pas besoin de sortir régulièrement la tête de l'eau, ils vont
beaucoup plus vite, beaucoup plus loin, digèrent beaucoup mieux leur
nourriture... Et jusque là, je me disais "Mais merde! Pourquoi est-ce
que moi je n'y arrive pas? Pourquoi est-ce que moi je suis aussi faible,
aussi nul?"
Et comme je suis une tête de mûle, j'ai
continué, encore et encore et encore, m'imposant une discipline qui
confine à la torture pour avoir l'air du meilleur poisson possible.
Qui ne l'a pas vécu ne peut s'imaginer à
quel point c'est épuisant et frustrant. Et ça ne s'étale pas sur
quelques semaines ou mois. Ca s'étale sur près de 25 ans. Encouragé par
un entourage qui ne peut pas non plus comprendre pourquoi je ne serais
pas un poisson comme les autres. Bordel, je suis né poisson, j'ai tout
pour être un excellent poisson et...
Et je suis un écureuil. Il faut donc que
je sorte de la flotte, sinon je vais finir par crever, d'épuisement,
noyé, de désespoir... Il faut que je perde mes habitudes de faux
poisson, que je grimpe aux arbres, que je me mette à bouffer des gl...
des noisettes (pardon)...
Je suis une victime d'abus sexuels et
pédophiles, même si bien sûr, je ne suis pas QUE ça. J'ai une grave
blessure qui ne se refermera jamais complètement et je dois adapter ma
vie à ces conséquences. Et je suis une femme. Que ce soit lié à cette
agression ou pas n'a aucune sorte d'importance. On ne peut pas changer
ça. On ne peut pas le réparer. Condamnation ou pas, ça ne bougera pas.
C'est ancré profondément. Ce qu'on peut changer, ce sont mes écailles,
ce qui me fait ressembler à ce que je ne suis pas, à un "poisson".
Comprendre tout ça me permet de
déculpabiliser, d'atténuer ma honte qui est insensée. Comprendre tout ça
va me permettre de l'expliquer à mon entourage. Et ainsi casser un
cercle vicieux pour instaurer un cercle vertueux.
Je pense que cette expertise représente déjà une étape primordiale dans ma vie.
Du coup, je me suis payé une petite
paire de boots toute mimi, histoire de marquer le coup (oui, ça faisait
quelques semaines que je cherchais un prétexte, j'avoue).
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